Faust en Avignon

Faust de Charles Gounod

Faust demeure l’un des trois ou quatre opéras les plus joués dans le monde.

Le mythe goethéen qui imprégna l’imaginaire de tant de compositeurs de toutes tendances se révèle à nous comme un antidote à notre existence contemporaine voire à nos déficiences affectives.

Les amours de cette jeune fille orpheline de père dont le grand frère est un fier soldat surgissent pour faire exemple application de la doctrine de Méphistophélès : il y a une perversion et une somme de mauvais instinct en tout humain.

Pourvu que l’on sache s’y prendre ! Et Faust qui désire ardemment retrouver sa jeunesse et les plaisirs qui lui ont été dérobés par une enfance puis une jeunesse à étudier pour ensuite une vie entière consacrée à la science, est la proie de rêve.

Faust sort du fond de l’histoire… et Goethe en situant ses héros au Moyen âge réinvente la légende avec un sens psychologique imparable L’éternelle lutte du mal contre le bien.

Le diable et le bon dieu de J.P.Sartre n’est-il pas lui aussi tiré de Goetz von Berlichinengen, toujours de Goethe ?

Donc nous voici dans l’antre du vieux docteur Faust. Décors (Poppi Ranchetti) comme mise en scène (Paul Emile Fourny).Et sur ce point l’ambiance réaliste est cohérente… Poussière et grimoires jaunis jusqu’à l’ambre, Faust emmitouflé de lainage gris tel un miséreux, ployé devant sa table comme un invalide. Table ! Unique objet vivant sur cette scène approfondie d’un clair obscur où là, voisinent pipettes, liquides et liqueurs.

La lumière enveloppe le visage aux yeux cernés pour s’épandre par cercles vaporeux, courts sans atteindre le fond de la pièce baignant en un grisé fondu dans des courants d’air d’hiver marron clair et puis foncé. Cette atmosphère autour de ce petit homme tassé sur soi, bientôt debout d’un éclair d’élan nerveux en appelant à la mort puis raccroché sur sa chaise roulante, appelant encore…Mais avec, sur le dernier ton de l’ironie… Un défis presque assuré : le Miracle ! Comme un espoir dubitatif…

Le temps suspendu par la musique puis ravivé devient le nôtre ! Fosse d’orchestre, plateau et public confondus. La musique prend place en menant le jeu dès ce premier tableau jusqu’à l’ultime soupir de Marguerite et la montée impérieuse du chœur final.

Elle devient maîtresse absolue de cette représentation réussie comme rarement .Grâce au

Chef Dominique Trottein guidant l’orchestre de sa main vive, nerveuse et passionnée qui nous invite, nous persuade et s’impose à demeurer en haleine avec Faus et ses comparses, ne nous laissant pas divaguer. Il parvient en un instant à forcer l’attention avec les quelques minutes essentielles qui fonde de l’entrée glissée et pourtant impérieuse de Méphistophélès. Ce Diable d’homme qui entre ici pour mener la danse de la vie et de la mort. Régler le destin des uns et des autres et triompher de nos hésitations. Incarné à la perfection par Nicolas Cavalier et son fameux :

Me voici !

Une caverne s’est entrouverte que l’on ne devinait pas…La séduction diabolique interpelle Faust comme elle nous saisit plein cœur pour que, entonnant intérieurement à la suite…

—Ne suis –je pas à ta guise ?

Nous décollions du fauteuil…

Enfin ! Voilà une belle réussite d’entrée de jeu. Un chef à l’écoute des chanteurs et des chœurs. La tension tragique ne cesse ni ne ralentit et de scène en scène ce Faust nous est restitué tel que nous l’aimons et le rêvons ; une fresque magistralement conduite hors du temps qui nous enseigne et nous rappelle que l’affrontement des sentiments et l’irréfragable vérité de la mort et de l’amour marquent nos existences. Et ce, malgré les protestations modernistes, les projets d’en finir avec la morale et autre mauvaises philosophies.

Sombre par sa destinée tragique et pourtant combien d’étapes dans cette œuvre offrent des nuances d’instants de pure joie musicale et théâtrale qui se révèlent et nous emportent.

Dominique Trottein dirige en instrumentiste[1] sensible à la voix, tenant les masses sonores de l’orchestre en équilibre parfait avec les chanteurs et libérant ainsi toute angoisse en eux. Chaque air, duo ou chœur ainsi parfaitement soutenu nous est donné au meilleur de l’interprète et l’ensemble rythme notre temps d’écoute à la perfection.

La distribution nous offrait tout d’abord en rôle titre une superbe et authentique voix de ténor avec Florian Laconi qui incarne le rôle titre pour la première fois, ici en Avignon.

Premier acte : impeccable et passionné avec un passage du vieux Faust podagre au jeune séducteur impétrant tout à fait juste dans l’intonation ,le phrasé et le port de voix doublé d’une assurance scénique authentique .Ce jeune ténor né en France est d’une famille des environs de Parme. Et si l’Italie tout entière chante, Parme se distingue encore par la distinction, ses goûts raffinés et le charme de ses artistes.

Florian Laconi possède un timbre doré, harmonieux, égal sur tous les registres, d’une texture ferme où se mêlent en harmonie la suavité et l’énergie .Le souffle régulier, maîtrisé, la quinte supérieure parfaitement musicale, juste et souple lui permettant l’ expression la plus naturelle sans tendance au racolage et exempte de coup de glotte.

Une belle et sensuelle voix lyrique de haut niveau .Souhaitons qu’il demeure dans ce répertoire et préserve une voix de ténor instrumentale, expressive par un travail et une technique que l’on devine très soignée.

Sa prestation gestuelle accompagne sa conception vocale. Celle d’un Faust heureux d’être jeune ! Plutôt Gentil garçon, se voulant jouisseur avant tout, mais qui sait atteindre à des accents tragiques dans dernières scènes. Ce qui correspond bien à la partition .Il a conscience des détours psychologiques ampoulés, du personnage dont il a intégré toutes les variantes.

Son excellente tenue en scène rappelle qu’à ses débuts il fut comédien ayant même tâté de la mise en scène.

Avec Marguerite nous revoyons Nathalie Manfrino dont la participation à Cosi Fan Tutte de Mozart (Avignon 2010) et Mireille (Orange 2010) nous avait comblés.

Nul doute que Marguerite est son personnage. Ethérée ,vaillante un brin coquette et la blondeur de l’enfant sage trahie…Que dire sinon qu’elle semblait un peu lasse le mardi soir alors que sa prestation du dimanche avait été quasi parfaite. Un très jolie voix au timbre encore un peu anonyme mais musicienne jusqu’au bout des doigts.

Le Siebel de Blandine Staskiewicz nous la présente parfaite sur le plan vocal avec un beau timbre et une voix contrôlée et limpide. L’allure physique androgyne lui donne beaucoup de grâce et son air est très bien chanté.

Je garde pour la fin la prestation somptueuse de Nicolas Cavalier en Méphistophélès .La voix demeure profonde et pourtant lumineuse et mordante. L’allure physique faite d’élégance raffinée et de dégaine coquine, le piquant de l’expression et le phrasé comme la prosodie d’une qualité irréprochable…Tout est étudié et pourtant nous parvient comme évidemment naturel dans ce diable d’homme dont le charme nous mène droit en enfer, pavé d’excellentes intentions !

Voici un Faust de haut niveau. L’orchestre sonne juste et clair, les envolées lyriques

Passionnées et enivrantes, les soli instrumentaux virtuoses sachant s’épanouir au dessus de l’orchestre, puis le rejoindre dans la plus parfaite symbiose.

Voici une production en partenariat avec Nice et Saint Étienne qui dépasse et de loin les clivages et disputes ou querelles de l’adaptation à l’époque comme nous en vîmes une à l’opéra de Paris récemment[2].

Ici avec Paul Émile Fourny nous avons le décors d’une Allemagne au delà des siècles mais connotée d’un Moyen-âge en forme de souvenir lointain .Une époque évoquée…La direction d’acteur est claire et le chant comme l’expression de cette tragédie s’imposent à tous sans ambiguïté, et surtout sans la prétention fastidieuse de certaine mise en scène dite moderne de nous donner des leçons.

Amalthée


[1] Il est aussi pianiste accompagnateur à ses heures, accompagnant bientôt Florian Laconi à Massy en récital

[2] Nous sommes sortis éberlués et furieux(Octobre 2011)

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Hélène Cadouin
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