L’enchanteur  tire sa révérence…

 

Boubou nous a quitté pour un juste sommeil[1]

 

Le Demoiselles de Rochefort. 1963 Les Parapluies de Cherbourg.1967

Donnés à la télévision cette semaine ses deux films  les plus célèbres, suivis, Lundi, d’ une émission regroupant des archives de toute sa carrière, à  retrouver en podcast . Voici qui  illustra l’hommage rendu à Michel Legrand tel un portrait développé à grands traits, réaliste et parfaitement rythmé.

Depuis plus de soixante ans Michel Legrand occupait une place unique au firmament de la musique. Unique car de Claude Nougaro qu’il parvint à faire monter sur scène et à faire enregistrer les chansons jusqu’à Hollywood où il se fit une place au soleil par  des partitions  réussies,  puis pour Norman Jewison ayant l’idée d’une composition d’un trait de une heure trente, jetée sur les portées après une seule vision, qui permit de caler   un film déjà tourné mais non monté, il eut toujours le “joker“ qui donne la réussite. Compositeur, accompagnateur, interprète, arrangeur, chanteur de ses propres chants à ses heures. Un des premiers  européens qui dans les années cinquante entre dans la cour des grands Jazz men aux États Unis comme Miles Davis, Bill Evans et John Coltrane .

Trois Oscars pour ses musiques de films dont Les fameux Moulins de mon cœur. Un nombre de Awards impressionnant. Des centaines de partitions aux mélodies qui ne quittent pas les lèvres de ceux qui aiment chanter et rêver tous publics confondus. Jazz et romances……Symphonique ou lyrique. Variété ou classicisme il écrivit sous toutes les formes. Et même un opéra sur l’Affaire Dreyfus composer en 2013. Un homme sans entrave, sans dogme, sans apprêts.

Dernièrement il nous surprenait par Ses Concertos pour violoncelle et piano enregistrés comme partitions “classiques“ par des instrumentistes et un chef  d’obédience classique.[2]

Ces dernières années il avait accompagné Natalie Dessay en d’originales soirées.

Inclassable.  Élève de Nadia Boulanger, capable de toutes les prouesses car ayant acquis un immense bagage spécifique, une pratique époustouflante  et étudié un nombre infini d’œuvres des maitres anciens,  il creusa son sillon selon ses  critères, ses seules idées,  son intelligence, sa curiosité et son tempérament de flamme.

Romantique et romanesque à la fois , il fut et demeure le plus universel et le plus aimé des français compositeurs et créateurs français.  

Il a quitté ce monde dans la nuit de samedi à dimanche   à l’hôpital américain de Neuilly où il était hospitalisé pour une infection pulmonaire.

Le gamin de Paris

Il était né en Février 1932 Son père le chef d’orchestre  Raymond Legrand avait épousé Marcelle der Mikaélian la sœur du musicien Jacques Hélian. Ils divorcent lorsque Michel a trois ans ;

Je suis né à Ménilmontant. Lorsque ma mère voulut me confier à l’école j’ai tellement pleuré et hurlé que je ne suis jamais allé à l’école restant à la maison avec grand-mère et un vieux piano  laissé là par  mon père qui nous abandonna.

J’avais trois ans et demi et la radio diffusait des chansons. De Charles Trenet surtout.

J’ai grimpé vers le clavier et j’ai cherché à reproduire les airs…d’une note à l’autre et ainsi de suite. Maman m’a trouvé une demoiselle pour m’enseigner le piano. J’ai appris le solfège et l’alphabet en même temps. Elle m’a tapé sur les doigts et ainsi à huit ans elle m’a conseillé un autre professeur qui m’a présenté au Conservatoire où je suis entré chez Lucette Descaves à dix ans. Ensuite ce fut Henri Challan et Nadia Boulanger.

Nadia Boulanger me garda six ans. Un jour elle a voulu que je vienne habiter chez elle pour travailler d’avantage…Ce n’était pas possible. Je ne pouvais pas car je travaillais déjà tellement que rentrant par le train de la Gare Saint Lazare à La Garennez Colombes je m’endormais presque chaque jour…

Alors elle exigea que je lui écrive un certain nombre de portées chaque  jour, plus une phrase de philosophie et quelques petits devoirs supplémentaires ! Elle m’aimait beaucoup . Je reçus très peu de prix chez elle…Un moyen de me garder dans sa classe.

Elle recevait un jour de la semaine à dîner ses amis. Un soir elle me demanda de jouer quelque chose : j’ai joué Jazz. Ses Yeux me le reprochèrent…

Ils demeureront amis. Nadia Boulanger reçut à peu près tous ce que le monde musical de son temps compta de futures célébrités, Léonard Bernstein par exemple.

Elle emmena  Michel à des répétitions de Igor Stravinski qui venait à Paris assez souvent.

Pour chaque œuvre qu’il écrivait il envoyait la partition manuscrite à Nadia Boulanger. Ce jour là, après la guerre vers les années cinquante  le bonheur voulut qu’il se trouve assis à côté d’Igor :

­—Maitre, un de mes collègues a  écrit une étude le “Sacre“[3] et il démontre qu’à telle mesure, c’est l’inverse de …

—Oui…“Tu sais mon “petit“, lorsque l’on est un vrai créateur  on ne sait pas toujours ce que l’on fait…[4]

Une pichenette aux coupeurs de cheveux en quatre dont Stravinsky le génial compositeur du Sacre du Printemps, de Petrouchka était un habitué.

Très jeune Michel travaille et compose accompagne surtout, Maurice Chevalier, Zizi Jeanmaire, il écrit des arrangements pour orchestre à cordes pour Dizzy Gillespie et collabore bientôt avec lui pour préparer  sa tournée européenne 1952 il a vingt ans.

Il pratique une dizaine voire douze instruments. En 1951 il écrit des arrangements pour Raymond Legrand son père et rencontre Jacqueline François, Henri Salvador, Catherine Sauvage.

1954. Love Paris sont des arrangements Jazzie de chansons et airs à succès  français qui lui permettent de connaître avec Jacques Canetti producteur musical chez Philips la firme Columbia(américaine).À la suite il arrange pour Barbara Streisand le C’est si bon

Qui fait le tour du monde dans l’album  Color me Barbara.

La Valse des Lilas, La Chanson de Maxence et The Sommer Knows de Été 42 deviennent peu à peu des Standards du Jazz.

Il travaille d’abord en France avec les cinéastes Agnès Varda, Jean Luc Godard Jacques Demy, invente la Comédie musicale à la française avec Les Parapluies de Cherbourg et surtout  Les demoiselles de Rochefort  dont la perfection  des ensembles et des chants comme la participation , le charme et le talent des deux sœurs Catherine Deneuve et Françoise d’Orléac aux côté de Gene Kelly et Danielle Darrieux assurent aux spectateurs  un Rendez-Vous unique et inoubliable qui n’a rien perdu de son émotion et de sa poésie romanesque.

Il a connu et accompagné les plus grands qui l’ont aimé comme un fils ou un frère selon leur âge. Ella Fitzgerald, Franck Sinatra, Kiri Te Kanawa cantatrice classique qui aima aussi les échappées belles de la variété et de la comédie musicale. Frida Boccara. Raymond Devos, Mireille Mathieu Stéphane Grappelli. Charles Aznavour.

Pour Claude Nougaro ce fut la belle aventure d’une amitié fraternelle. Car, Nougaro de Toulouse et lui ne parvenaient pas à se faire éditer donc à se faire chanter. Legrand dit à Claude :

—Tu vas chanter tes chansons toi-même. Tu dois le faire. Sinon tu ne t’en sortiras pas.

Nougaro ruait dans les brancards, timide et peu sûr de lui. Mais finalement ils produisent dix chansons, tous ce qu’il faut pour que Michel Legrand puisse les présenter et dire à Jacques Canetti terriblement réticent devant le style et l’allure des chansons de Nougaro pas du tout dans le sens du poil de l’époque:

­—Tu vas les enregistrer et produire le disque.

Et Canetti céda, parce que Michel qu’il connaissait depuis si longtemps, ne l’avait jamais déçu.

Et ce ne fut pas un “bid”, mais un succès. Et le Toulousain est demeuré en haut de l’affiche et a fait son chemin.

Michel Legrand a  aussi interprété ses œuvres. En 1964 il a pour compagnons Eddy Marnay et Jean Dréjac.

En 2013 coécrit avec Stéphanie Lerouge une auto biographie : Rien de grave dans les aigus.

En 2014 Macha Meryl et Michel Legrand se retrouvèrent après une longue absence pour convoler à Monaco et à la Cathédrale orthodoxe de Paris.

Nous gardons de lui le souvenir de notre jeunesse de notre amour des êtres vrais et sincères. Nous ne pouvons oublier ces moments de chansons qui  à chaque  fois  nous sortaient de la grisaille des jours où accompagnaient nos cœurs heureux. Nous les avons fredonnées les Airs  de Legrand ! Mon dieu que ce temps était beau !

Amalthée

  



[1] Réplique  située dans la bouche d’une Des demoiselles de Rochefort, à propos de leur petit frère s’étant endormi au cours du dîner.

[2] Parution chez Sony en 2017 avec Henri Demarquette au violoncelle et Miko Frank à la direction.

[3]  Le Sacre du Printemps, l’étude est de Pierre Boulez alors jeune compositeur d’avant garde

[4] Citation de mémoire à  France Musique 2016 chez son épouse Macha Meryl 

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Hélène Cadouin
dite "AMALTHÉE"

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