Toulouse Au Capitole
Née à Narbonne, études à Montpellier et Paris [1] après avoir obtenu le prix Révélation lyrique de l’année aux Victoires de la Musique (2011), Clémentine Margaine passe une saison à Berlin. Engagée pour Carmen à Dallas puis au Met de New York dès le début de sa carrière, la voici à Toulouse qui enflamme le Capitole avec ce personnage incomparable de Carmen, la cigarière et Bohémienne la plus célèbre de l’histoire de l’opéra.
Elle campe Carmen dans sa profonde authenticité, une jeune femme née sur le “voyage“[2] qui se bat pour ne pas demeurer dans son état social et qui, en filigrane verra en Escamillo la “marche du podium“ !
Fière, noble, pétrie de cet orgueil bouleversant que donne la beauté aux femmes de caractère, la voix excellemment placée, le timbre déjà remarquable elle joue sans appuyer les traits, prononce un français limpide, parle du regard et chante sur un legato et un souffle impeccables, une gaine et un vibrato dignes de la bel cantiste qu’elle est tant par l’ampleur de l’ambitus que par une technique vocale absolument contrôlée.
Elle sait sourire et rire en chantant avec l’aisance et le naturel d’une comédienne accomplie.
Sa Carmen voluptueuse, garde quelque réserve et de la rouerie, élégante dans la simplicité d’une robe, son port de tête, sa démarche couronne un personnage inentamable, volontaire, cassant jusqu’à l’arrogance. Son chant d’une parfaite clarté possède la fraicheur et la ferveur des premiers instants. L’ardente coquette dans la “Habanera”, se fait moqueuse et acérée lorsque l’on voudrait le contraindre. Un “air des cartes“ d’une intensité de timbre et de sentiment magnifique avec juste ce qu’il faut de notes au bord des pleurs retenus et un ton tranchant d’un impact absolu. Aucun geste de trop. Aucun épanchement ou tentation à la vulgarité. De la classe, du panache vif argent en cette Carmen qui meurt en héroïne, libre, immolée et grandiose.
En découvrant l’affiche de présentation de cette nouvelle production au Capitole , il était clair que deux artistes en assuraient la mise en scène. Les décors dans la veine et le style réaliste des sources de cet ouvrage-littéraire , une touche à la Goya si chère à nos souvenirs et un taureau en position de fin de course flanqué de son torero noblement en passe avec la fameuse cape ![3] Et, le reflet se plante admirablement authentique au miroir de notre XXI siècle.
Jean Louis Grinda[4], met en scène, Rudy Sabounghi, pour les décors et Françoise Raybaud -Pace signe les costumes. Élégance et authenticité. L’ensemble est placé dans l’époque de la composition, cette fin de XIX° siècle riche de son mélange des genres populaires traditionnels et des mœurs de la société espagnole. Séville fut telle que les peintres, les musiciens et autres artistes nous en ont laissé trace. Un double mur en courbe retournée à deux élans figurant l’enceinte de l’Arène qui se ferme, s’écarte, s’ouvre sur fond de scène, où, tour à tour s’affichent d l’illustration de la Corrida, la montagne etc. Les tons en camaïeux de beiges et bruns relevés de couleurs vives de l’orange aux rouges en dégradés.
Les gestes des acteurs sont simples et naturels ils accompagnent l’action et les mots, les sentiments et les affects animent avec l’aisance naturelle les interprète qui vivent au sein de leur rôle comme en un dédoublement parfait.
Le chant et la musique demeurant primordiaux par un échange intense et respectueux des nuances, de la scène à la fosse où le chef Andrea Molino et l’Orchestre National de Toulouse ont réussi à nous plonger dans un émerveillement continu. Quelle partition ! Qui surgit dans sa superbe architecture instrumentale. Mille fois écoutée ou entendue elle nous emporte, nous enivre comme musique connue pour retrouver des traces anciennes qui nous rassurent. Pas une goutte de son de perdue. Passionnée, sensuelle, respirant en des attentes de tendres apaisements puis relancée brutalement sauvage se fracassant en une explosion qui brise l’air et la partition dans son velours de soie et son souffle grandiose reprend son discours…amour, liberté, courtoisie, espoir, mauvais augure et mort ! La mort.
Le ténor américain Charles Castronovo nous offre un Don José à la hauteur de sa Carmen .Il a fait sa prise de ce rôle à l’opéra de Berlin en Janvier de cette année. La voix au timbre clair et nuancé, à l’émission ample et juste, couronnée d’une quinte supérieure idéalement timbrée passe l’orchestre sans donner l’impression d’effort superflu. Les passages de registres impeccables, les attaques nettes ainsi que son phrasé exemplaire s’accompagnent d’une prononciation française sans défaut. Ce Don José paraît comme non pas amoureux, mais pris de passion comme malgré lui, à regret avec le sombre pressentiment de l’inéluctable .Un effet d’entrainement fou auquel il ne peut résister.
En Escamillo une basse de grand calibre Dimitry Ivaschchenko excellent et d’une allure folle.
La Micaëla d’Anaïs Constans révélation lyrique 2015, s’épanouit à merveille dans ce rôle de jeune fille sage, capable d’une grande maitrise de ses sentiments et de ses actes. Elle l’interprète avec une juste mesure de l’émotion ni trop mièvre ou résignée, courageuse face à son destin désolant. La voix est superbe, aisée et d’un naturel large et fruité, avec un timbre riche.
La surprise absolue pour moi fut l’excellente prestation de Ans Seguin en Morales. Ce Brigadier qui accueille Micaela au tout début de l’Acte un. Le timbre est clair, l’assise du chant les attaques impeccables. Il chante comme un instrument et pourtant chaque mot porte avec son sens et le sentiment qui l’anime. Une tessiture de Baryton large et ample et une qualité de diction parfaite. Il est diablement sympathique aussi.
Le Capitole de Toulouse est habitué à l’excellence. Avec cette production de Carmen une fois de plus il m »rite de devenir le spectacle de l’année.
Amalthée
Représentation du 8 avril
La plupart de ces artistes sont audible et visible en libre audition sur internet