Ballade pour un mélomane
Salzbourg au Balcon
Un festival en cache un autre !
Cinquante ans après sa fondation ce Festival à encore sa place dans le paysage européen ne serait-ce que par la date. Mais on doute de la poursuite du projet dans l’originalité du caractère premier imprimé par Karajan.
L’actuel directeur appelé en 2012 pour œuvrer dès 2013 Christian Thielemann, suit une ligne plus souple qu’ Abbado et Rattle avaient considérablement infléchie, néanmoins nous en sommes rendus à un Festival bis de l’été.
La présence du plus antique orchestre d’Allemagne pour ne pas dire d’Europe : Saatskapelle Dresden[1] assouplit l’atmosphère de sa présence. Lyrisme et poésie, style “Mittel Europa“ en échange de la “Rolls“ orchestrale de Berlin ! Désir de briller pour briller surmonté et du cœur à cœur dans le sentiment de partage.
C’est se souvenir que Karajan en pleine guerre froide et Mur de séparation des deux Allemagnes, fut un des premiers à vouloir diriger cet orchestre qu’il fit venir à Salzbourg pour le Festival d’été. Et, avec lequel il parvint à enregistrer Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg, se déplaçant lui même à Dresde avec EMI, à l’aube des années 70 [2]!
Christian Thielemann tient la gageure. L’époque a changé, les auditeurs aussi. L’excellence des concerts avec des solistes incomparables et des œuvres allant droit au cœur et au souvenir des habitués demeure l’atout maître de ces quatre jours de printemps passés, noyés de musique, dans la cité de Mozart et Karajan tous deux natifs des lieux. Trois concerts et un opéra.
Je commencerais ce commentaire par l’opéra pour en finir rapidement !
Parsifal (R.Wagner) en 2013 dont le DVD nous prouvait que Bayreuth ou Berlin ne sont pas loin sur le plan des mises en scène discutées et sulfureuses, mais donnait à écouter du corps, du sens et des chanteurs parfaitement distribués dont John Botha.
Arabella (R.Strauss) en 2014 auquel on reprocha la maturité trop accomplie de la soprano américaine Renée Flemming dans le rôle titre.(autre DVD en vente) .L’année 2015 tranchait sur le prestige de l’œuvre, avec Cavaleria Rusticana et Paillasse , un paquetage de répertoire léger pour une manifestation de ce prix ! Mais on avait le ténor Jonas Kaufmann et une mise en scène psychédélique à chaque étape, ce qui donna un poids certain à la soirée.
Pour 2016 défi immense avec : Otello, du glorieux Verdi à son magistral crépuscule.
Ultime et tragique chef d’œuvre. Verdi et Boïto parviennent à l’alchimie opératique sublime, mimétique du drame de Shakespeare. Une acception musicale unique à caractère et style profondément universels.
Hélas, ce Festival n’a plus à sa tête administrative, une main “ artistique “. L’esprit d’un connaisseur aiguisé, capable d’organiser et monter ce genre d’œuvre en donnant à la production une “griffe“. Aux côtés de Christian Thielemann et de cet orchestre, il faut autre chose que la structure actuelle, inféodée au “politiquement correct“ des théâtres “lambda”. Et nombre d’abonnés se sont abstenus à cause de cela !
Dans les murs des lieux, l’ombre de l’ Otello de John Vickers, et de la Desdemona de Mirella Freni passent et résonnent encore ! D’autant qu’ une vidéo réalisée par Karajan de son inoubliable production est en vente.
2016 et la mise en scène sans décor de Vincent Boussard : sans intérêt ni grand rapport avec l’œuvre n’a rien d’original. Il s’agit presque d’une action scénique sur une scène vide avec des éclairages. Les rideaux multiples sont de Vincent Lemaire. Avec des lumières de Guido Levi qui sculptent le déroulement. Costumes de Vincent Lacroix. Seule élégance partielle de la réalisation, de plus Lacroix a l’intelligence de maintenir l’époque de Shakespeare et de la République de Venise ! Sans doute Monsieur Cura (Otello) a-t-il négligé de porter le sien ? Il est demeuré en pantalon froissé et chemise à rayures (comme pour aller à la pêche en rivière un jour de chaleur). Ineptie de la mise en scène, le meurtre de Desdemona s’effectue par “le cou du lapin“ ! Otello lui casse la colonne vertébrale au niveau des cervicales à la place de l’étrangler. L’investissement du chanteur n’est pas du tout audible ou visible…on croirait une erreur de l’ostéopathe !
Voyons les chanteurs. Nous attendions Johan Botha en Otello, nous laissait espérer voix et interprétation solides, voire engagées à l’image de ses prestations à N.Y, Vienne et Munich dans ce rôle.
Remplacé par José Cura deux mois avant, nous avons grincé des dents ! Mais hélas, les billets d’avions étaient achetés !
Or, ce monsieur , s’il a chanté parfois avec une certain succès(devant quel public ?!) à une période (très courte) cela ne donna jamais lieu à d’ inoubliables[3] ou plaisantes performances .En ce qui me concerne , que ce soit à Vienne, Vérone ou en télévision, je ne l’ai jamais entendu ou vu à un niveau vocal satisfaisant . Souvent négligé en scène, il joue souvent le racoleur. Il se vante de n’avoir eu ni maître, ni véritable “idée“ ou conception de la musique “classique“ autre que venant de lui-même. Il passe de la Direction d’orchestre à celle des chœurs …tout en se maintenant dans le répertoire de ténor .[4] Il apparait ainsi comme : “Touche à tout“ moins que génial !
En ce dimanche de Pâques pour cet Otello tant attendu, il fut en dessous de tout.
D’entrée de jeu avec un : Exultate… cotonneux terminé sur un aigu flageolant, dont aucune harmonique ne sauva l’absence totale de brio et de portamento vocal.
Le duo avec Desdemona (fin de l’acte 1), ce magnifique hymne à l’amour des sens et des pensées, fut mâchouillé couronné d’aigus dans tous les sens. Puis le duo avec Jago dont il bafouille les invectives sans tension d’une voix presque détimbrée. Aucune technique vocale valable le ! Et l’on alla au pire ensuite avec la Réception de l’envoyé du Doge. Cura produisit alors un chant complètement détimbré exempt de toute expression correcte. Quant à l’ultime scène : même configuration “à val de route “.
La vision est d’avantage celle d’un “ loubard “en fin de carrière que d’un glorieux capitane de la Sérénissime. Ce monsieur semble jouer sans comprendre et ne personnifie personne.
Pour le Jago de Carlos Alvarez les compliments seront maigres en dehors d’une tenue en scène très crédible. Mais la voix et la technique vocale sont en sommeil. Il fut un Jago de flammes et de noirceur bien dosée, il y a dix ans à l’opéra Bastille ! Est-ce un motif suffisant pour l’engager à Salzbourg après les piètres prestations de ces dernières années ? Il ne travaille pas suffisamment pour demeurer au niveau de ses capacités vocales.
On retiendra Benjamin Bernheim excellent Cassio, Christa Mayer, belle et parfaite musicienne en Emilia. Le rôle est très court. Par bonheur Georg Zeppenfeld campe Rodrigo. Les Chœurs de Dresden et Chœurs d’enfants de Salzbourg sont somptueux de couleur et fringants d'énergie L’orchestre de Dresde et Thielemann absolument immergés dans la partition ont rendu à Verdi sa superbe et sa passion. Capable de voguer de la tempête à la mort avec l’ivresse du désespoir dans un seul et sublime accomplissement ! Voici le vrai bonheur d’écoute.
Autre immense bonheur l’écoute de la Desdemona de Dorothea Röschmann. Sincèrement, j’ai vécu l’écoute les yeux fermés, avec une émotion partagée et un désir d’oubli absolu cette Desdemona flexible, palpitante, sensible et superbe. Capable de révolte rentrée et de traduire un immense désespoir d’être incomprise et d’exprimer sans révolte son amour immolé et son corps bafoué par un barbare. Dorothea Röschmann, la Desdemona qui a elle seule valait le sacrifice d’une soirée parfois bête à pleurer.
La suite sera heureuse avec les trois magnifiques concerts.
À la semaine prochaine.
Amalthée
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[1] Orchestre d’État de la Chapelle de Dresde
[2] Un enregistrement mythique avec deux allemands de l’est Peter Schreier (David) et Théo Adam (Sachs)Le Walter de René Kollo et l’Eva inoubliable de Janovitch. Karajan dans ses plus belles années avec une œuvre qu’il chérissait tendrement. Chez EMI
[3] à retourner l’entendre et lui à trouver un professeur !
[4] Voir le Web à ce nom