Les Femmes de l’Arc
Madame Roland et Joséphine impératrice
Gildard Guillaume
Il n’y a rien de nouveau sous le soleil !
Ecclésiaste
Lorsqu’il pensa le temps venu pour le peuple de France, après dix ans de révolution suivis de dix ans de guerre, de fondre dans un même hommage et d’honorer les héros, les victimes et les survivants, Napoléon décida comme il se faisait dans la Rome antique, d’élever un arc de triomphe.
Voici le “pas à pas“ de l’édification de l’Arc gigantesque dressé place de l’Étoile[1]. Le destin de deux figures féminines majeures, par leur place dans la Révolution et l’Empire, vient s’intercaler par chapitres à l’histoire de cette construction.
Madame Roland, égérie des Girondins.
Joséphine Impératrice. L’incomparable tant aimée, inoubliée.
L’Arc de la place de l’Étoile, voulu par Napoléon en 1808 fut achevé sous la Monarchie de Juillet.
De celui qui, servit le Directoire, dernier gouvernement de la Révolution, la clôtura au 18 Brumaire, pour l’achever par le Consulat, puis en détourna, à son profit, à sa gloire, les acquis avec le premier Empire, Louis Philippe qui tenta d’instaurer une monarchie véritablement constitutionnelle, le chemin fut riche d’embûches et d’actes persévérants pour que se dresse l’ultime et pharaonique construction significative de l’histoire de notre pays.
Voyons tout d'abord, quelques détails des sculptures, car ce sont elles que l’œil aperçoit une fois la masse envisagée.
Les armées et leurs victoires animées de leurs braves, les Révolutions, s’y inscrivent dans la pierre[2] sous le ciseau des sculpteurs. Le destin, les triomphes, les gloires, les déboires et les oublis marquent cet édifice dans la lignée de la civilisation romaine. Pour témoigner de la naissance de la Nation moderne, de l’Identité, du Patrimoine culturel et social.
Les hommes y sont omniprésents. Des déesses y volent. À un hommage aux héros les allégories classiques sont indispensables. Seules, deux femmes de chair ayant vécu et agi, figurent en héroïnes, à la frise de l’entablement nommée Le départ des armées.[3] Trente sept cavaliers, sapeurs, fantassins et grands personnages de la Révolution et de l’Empire avec ces dames ! Et seulement elles deux ! Sont elles venues renforcer ou condamner ce travers d’une époque qui prit le sexe féminin à contre sens par rapport aux us et mœurs des siècles précédents alors qu’elle tenaient Salons, dirigeaient commerces et négoces, fermes et douaires ? Étaient abbesses qui frappaient monnaie comme à Saintes.
La Révolution pour la majorité des femmes institua une horrible régression, elle renvoya dans leurs foyers et casseroles celles qui étaient tout aussi capables que les hommes bravaches de spéculations intellectuelles et de talents artistiques et artisanaux.
Il fallut deux siècle pour recouvrer un statut sinon égalitaire du moins acceptable.
L’emplacement :
Celui qui aujourd’hui apparaît au regard de tous le jour du 14 juillet.
La Fête Nationale est instaurée par le décret du 6 Juillet 1880. La Troisième République entend ainsi montrer le redressement militaire après la défaite de 1870 et rappeler pour les uns la Prise de la Bastille en 1789, pour d’autres la fête de la Fédération le 14 juillet 1790.
Ce cortège militaire se déroule tout au long des Champs Élysées de la place de l’Étoile [4] à la place de la Concorde. Pour se rapprocher de l’Histoire : Le départ : de l’ancienne place de la Colline du Roule (1670) qui vit l’Octroi et la barrière de Neuilly. L’arrivée : l’ancienne place Louis XV, nommée : de la Révolution, rebaptisée par le Directoire, Place de la Concorde. Car il fallut prôner la réconciliation après les horreurs de la Terreur.
Le déroulement des travaux sur plus de trente ans.
L’auteur nous donne ici lecture des plans architecturaux du monument. De leur élaboration et des changements avant le début de la prise de décision et à perte de vue parfois, dans le temps de la construction ! Du financement global prévu ou par paliers et des suppléments délirants quelques fois. Des autorisations exigées. Des autorisations aléatoires mais confirmées ou infirmées selon les cas. Le descriptif de tous les détails administratifs et procédures d’engagements des artistes sculpteurs, dessinateurs, géomètres et corps de métiers intervenus et engagés. La description des travaux indispensables avant toute installation d’échafaudages et autres constructions provisoires et chantiers préliminaires. Des devis de corps de métiers un à un cernés et précisés .La liste des architectes comme des exécutants des travaux. Le compte rendu des décisions, des avancées et des remaniements de toutes sortes dans les projets. L’avis de ceux qui dans les ministères ont le dossier éléphantesque à reprendre ou à laisser !
Nous faisons connaissance avec les analystes des exécutions et réalisations au cours de l’avancée de ce vaste chantier. Mesurer, peser, diviser. Une véritable biographie de l’édifice minutieusement élaborée de manière scientifique avec les références concises nous permet d’avancer comme dans un roman. Nous faisons connaissances d’artistes de l’époque et de leurs manières comme de leur style, parfois même de leur existence et de leur destin.
Il faut un talent de conteur doublé de celui de chercheur pour accrocher à l’intérêt du lecteur courant, avec cette somme débordantes connaissances indispensables. Or, jamais l’impression ressentie ne paraît asphyxiante. Nous suivons, tournons les pages et avançons à ce rythme souvent militaire.
C’est qu’à chaque chapitre dédié au monument correspondent un chapitre pour Madame Roland et un chapitre pour Joséphine impératrice.
Deux Femmes seulement ! ?
Il s’agit de les connaître en relation avec leur rôle et leur destin croisant les autres personnages acteurs ou ayant simplement vécu, survécu au cours de la Révolution et l’Empire.
Madame Roland suivie du berceau à l’échafaud. Enfance studieuse et personnage d’une immense influence par elle même et le biais de son époux dont elle fut la tête pensante.
Joséphine de son enfance dorée de soleil, du berceau à La Malmaison et à sa disparition le 29 mai 1814 pendant le premier exil de Napoléon.
Madame Roland égérie des Girondins, double féminin de Robespierre, eut un rôle considérable avant et pendant la Révolution. Sa place sur l’Arc est hautement méritée. Elle apparaît sous ce jour froid, glacial même, de la “Femme de tête“ née sous l’Ancien Régime et qui, bien que très intelligente, ressemble à un marbre à peine animée de sentiments. Elle finit sur l’échafaud mais contrairement à tant d’autres elle semble avoir eu la possibilité d’échapper à ce sort. Elle serait presque en accord avec sa terrible sortie de scène, se rendant à la mort comme autrefois les chrétiens refusant d’abjurer. Il y a l’orgueil de la martyre dans cette femme là. Un esprit cathare à la limite du borné intégriste de la foi révolutionnaire. Une aridité, une rigidité de vierge au combat refusant les faiblesses de l’amour.
L’Impératrice Joséphine, précédée de Joséphine de Beauharnais épouse d’Alexandre, officier malchanceux guillotiné, Madame Bonaparte, Madame la Consulesse. La finesse, le courage, la bonté, la sensualité tendre et la noblesse de cœur et d’allure. Ils et elles l’ont tous aimée ! Elle en a tant aidé à sortir du danger, de la mort de l’exil etc. Malgré son âpreté au gain et ses manies quelque peu bricoleuses de trafics loin d’être anodins. Le seul amour véritable de Napoléon. Celle qui nous permet encore de rêver d’une souveraine aujourd’hui. Marie Josèphe Rose Tascher de la Pagerie née à la Martinique, nous a laissé la Malmaison et le souvenir d’une femme capable d’égaler les hommes par son courage et son intelligence politique et sociale. Un portrait subtile et d’une grâce magique à la hauteur de son modèle.
L’auteur pose même la question sur l’absence d’autres femmes dont le sort pouvait donner à envisager leur présence sur l’Arc ? Mme Tallien[5], Olympe de Gouge, Théroigne de Méricourt, Madame de Staël, Félicité de Genlis, ou Madame Récamier. Mais aux vues de l’époque ces compétitrices n’ont pas la carrure requise.
L’arc de Triomphe, hommage et symbole de l’entrée d’un pays dans l’avenir. La chair et la gloire faites pierre.
La monarchie absolue abattue, ils chantèrent à l’armée du Rhin, face à ceux qui voulaient imposer un autre destin à la France:
“Nous entrerons dans la carrière quand nos ainés n’y seront plus, nous y trouverons leur poussière et la trace de leurs vertus… “
Le septième couplet dit des Enfants ,de la Marseillaise, attribuée au Capitaine Rouget de Lisle et entonnée après l’armée du Rhin par les émeutier du 10 Août 1792.
Ce fut sans doute cela, la Révolution ! La récupération d’un héritage attendu trop longtemps, l’héritage des savoirs et des pratiques d’un peuple de valeur qui fit l’admiration de Bonaparte et même de quelques un de nos ennemis.
Pour certains. Un Avant et un Après. Un héritage du meilleur du passé et un abandon des vices rédhibitoires à toute existence juste. Des pensées, des actes se voulant généreux et intègres pour que l’humanité en ressente un bienfait et puisse croire en un avenir rayonnant. La France encore voulant être un modèle.
L’histoire de l’Arc de Triomphe et de ces deux Femmes emblématiques du passage des années terribles ou heureuses selon les cas, illustre le jeux de la vertu, du talent de vivre et du hasard à pouvoir se glisser entre les vagues des évènements, voire à peser sur leur cours.
Un livre tenant de la fresque historique et du roman .Il vous donnera le sentiment que l’avenir nous appartient encore si nous acceptons le passé pour en tirer enseignement. Fortement instructif et absolument hors de tout ce que l’on attend d’une thèse historique vous le quitterez à regret mais heureux de l’avoir lus et appris.
Amalthée
Editions La Bisquine
Les Femmes de L’Arc
Gildard Guillaume