Rolando Villazon
Jongleries
Le ténor Rolando Villazon aujourd’hui âgé de 42 ans apparait sur les scènes lyriques avec des atouts majeurs ! Un timbre cuivré, des aigus spectaculaires, l’art de la scène et de l’expression maîtrisée en véritable acteur et chanteur. Tant en italien qu’en français, plus tard en allemand il se glisse dans ses personnages avec naturel et spontanéité.
Prix opéralia et autre récompenses telles Les Victoires de la musique, il triomphe bientôt à Salzbourg en Alfredo de la Traviata de Verdi face Madame Netrebko.
Enfant il a suivi un enseignement général complet, je dirais à l’ancienne mode qu’il a assimilé avec le goût du savoir intelligent. Il en a récolté l’amour du travail de qualité. Il fut tenté par la prêtrise, mais s’engager en musique est aussi une vocation pouvant vous prendre corps et âme à jamais ! Une part de lui-même garde un jardin secret pour la spiritualité.
L’artiste complet est attiré par la peinture, puis l’action théâtrale, il met en scène à Baden Baden l’Elixir d’amour, après que deux opérations chirurgicales pour la voix lui aient imposé un repos complet.
Il a enchanté ces quinze dernières années par des interprétations de personnages aussi différents que Alfredo de la Traviata et Némorino. Son agilité vocale, sa musicalité innée et son geste scénique ample, donnent à ses interprétations une accessibilité immédiate. Sa prédilection pour des rôles comme Roméo dans l’opéra éponyme de Gounod aux côté de la somptueuse Nino Machaidze sur le plateau de Salzbourg avec la direction de Nézet Seguin est un des DVD les plus réussi de sa carrière.
Le voici à présent écrivant un roman. Jongleries.
Il ne s’agit nullement d’un chanteur d’opéra et d’un monde feutré de conservatoire de musique et de chant. Mais d’artistes sur le “trimard “comme il se disait de certains artistes forains du début du XX° siècle. On les appela aussi des banquistes car la rue fut longtemps leur seul domaine. Les temps, ont changé et l’action ne se situe pas en Europe.
Le roman de Rolando Villazon se déroule de nos jours et dans un pays d’Amérique vraisemblablement. Les rues et les places, si elles accueillent encore des musiciens ambulants, parfois des équilibristes n’offrent pas le public des enfants réunis.
Macolieta est un clown engagé par pour des fêtes particulières, mariage, journées des écoles comme par des music-halls ou des cirques.
Il demeure dans un appartement d’un quartier correct d’une ville semble-t-il paisible et sans histoire majeure.
Macolieta qui confie à son cahier bleu, le destin d’un autre clown Balancin, vivant en parallèle avec sa propre trajectoire, a deux amis : Claudio bibliothécaire et philosophe souriant mais parfois blasé, qui sait ce que Macolieta invente ou devine, à chaque fois, afin d’éviter de buter sur une des marches irrégulières de sa vie d’artiste. L’autre, Max plus carré et fonceur ne pose ni question, ni problème. Il lui arrive de jouer le clown également.
Au loin une femme vit en attendant que Macolieta traverse l’océan pour la rejoindre. Tantôt Verlaine tantôt Sandrine… Selon qu’il est dans ses pensées ou dans son cahier bleu. Il rêve alors de l’avion à destination de Barcelone.
Les amis entrent dans son appartement comme ils passent dans son existence, lui procurant juste ce qu’il faut d’amitié discrète et de fanfaronnade légère.
Macolieta entretient une relation au café non loin de chez lui avec un certain Don Eusebio joueur d’échecs qui parvient à le former à l’excellence de ce jeu.
Macolieta et Max répondent à des engagements de clown ensemble, ce qui leur permet d’assurer au mieux leur existence matérielle !
La vie s’écoule entre le cahier bleu et les nécessités de survivre et de vivre pour Macolieta et des deux amis. Il pleut. Il fait beau. Le paysage est assez beau vu de la fenêtre. Les enfants rient de leurs facéties et de leurs jongleries. Et l’on reçoit un et des engagements à renouer encore avec le public. Les enfants…les jongleries.
Et de page en page de scènes rêvées en réveils en sursaut, dans un logis que l’on connaît par cœur, entre le pot d’un tournesol qui grandit et se fane et une araignée en flânerie sur le bureau dont Max parfois prend la voix, Macolieta comme une balle en étoupe souple et ronde roule de rêve en espoirs fugaces sans se heurter. Ira-t-il vers cet avion pour Barcelone ? Ou bien Balancin, qui, lui est un clown glorieux, survivra-t-il au mal de dos qui scie la colonne vertébrale de Macolieta ?
Un jour Claudio et Max sont engagés comme clowns dans un vrai cirque, après une vraie audition. Un jour Don Eusebio n’est plus à sa table au café pour la partie. Un jour les trois amis jouent ensemble. Un jour le ron du cahier bleu…S’essouffle ? S’enraie ?
S’il y a des auteurs qui vous laissent sur le bord de la route, Rolando Villazon vous entraîne avec lui jusqu’au fin fond de son rêve. On le devine dans chacun de ses personnages et au travers de toutes ces inventions une âme de poète vous parle de vous. De votre désir d’une heure, d’un jour ou de toute une vie libre au point que plus rien sinon le jour le jour n’a d’importance réelle.
L’artiste riche et célèbre qu’est Balancin avec son train de famille et l’épouse qui est l’épouse absolue ! Demeure dans le cahier bleu !
Il n’y a pas d’avion pour Barcelone à aucune heure d’une pendule molle, comme celle de Salvador Dali pour Macolieta ! Et Sandrine ou Verlaine auront d’autres enfants… Dans d’autres circonstances et d’autres rencontres. Car Macolieta doit reprendre sa partie d’échec avec Don Eusebio.
Rarement roman n’aura touchée et répondu à la fibre la plus solitaire de mon âme, rarement on ne m’aura dit que la modestie d’un destin de baladin ou de saltimbanque a ses mobiles évidents et peut être heureuse. L’essentiel est de suivre son instinct au bonheur…Son rêve immobile même s’il paraît sans ambition !
Jonglerie ? Il faut jongler avec les coups du destin si l’on veut atteindre un petit coin de poésie dans notre univers banalisé.
Le style, le vocabulaire et les citations évoquées sont d’un à propos parfaits en concordance idéale avec les personnages. Rolando Villazon les trace avec discrétion et une acuité de trait non dénuée de puissance. Il évoque les sentiments de chacun avec pudeur et délicatesse, et ne manque jamais d’un sens aigu de la psychologie humaine. Peu de description dans cet échange en forme suite de récits assemblés en puzzles parfaitement assemblés que le fil doré du poète relie.
Il faut aussi remercier le remarquable traducteur [1] parvenu à transmettre ce texte d’une réelle richesse poétique dans ses moindres subtilités.
Amalthée
Jongleries de Rolando Villazon
Edition Jacqueline Chambon
Distribué par Actes Sud