La Femme sans ombre
De Richard Strauss Opéra de Zurich
En cette fin novembre sans neige, un léger vent parcours les lacs suisses en ébouriffant le plumage des cygnes. Les poules d’eau jouent à cache -cache ! Le soleil égaye les roseaux parsemés de nids, les magnolias abandonnent leurs feuilles dans les replis des rives douces tandis que les bateaux tournent encore sur les eaux grises et moirées projetant des ombres à peine distinctes. On n’en rentre pas moins à l’opéra sur les coups de 14 heures en ce premier dimanche de l’Avent !
La Femme sans ombre de Richard Strauss pourrait se dérouler au bord d’un lac de montagne. Ce serait un soulagement pour le spectateur 2014 qui se laisserait alors aller à ce rêve d’outre monde visible dans lequel les enfants et les hommes côtoieraient les magiciens et les fées.
Car de la Flûte enchantée de Mozart à cette histoire à facettes, le lien d’inspiration selon Hofmannsthal et Strauss [1] eux-mêmes est avéré.
Quatre personnages. La fille du Roi des Esprits, Femme sans ombre, extra- terrestre et épouse de l’Empereur des Îles du Sud est. l’Empereur qui sera pétrifié dans trois jours si la Dame ne trouve pas d’ombre-donc d’humanité et de capacité à enfanter-un teinturier Barak , homme désargenté et bonhomme [2]s’il n’était affublé d’une fratrie criarde. Son épouse, acariâtre à force de ne pas pouvoir rêver, se sortir du quotidien…En elle réside la rancœur de ceux qui n’ont de temps que pour le travail et point pour l’amour et le rêve.
Personnage clé de cette histoire La Nourrice de l’Impératrice qui l’a suivie dans ce mariage hors normes dont, au fond d’elle même, elle souhaiterait la débarrasser…Pour elle ce serait bon avenir de retourner chez le Roi et non pas de s’humaniser.
Néanmoins elle lui indique d’avoir à acquérir l’Ombre tant désirée chez les époux Barak.
Conséquence : ils perdront leur capacité à aimer et à procréer et l’Impératrice et l’Empereur vivront heureux et auront des enfants.
Chez les Barak règne l’atmosphère conjugale insupportable d’époux abrutis par leurs tâches, les irruptions des frères sorte de “ pique- assiette“ et une infinie lassitude de l’existence. Néanmoins la Teinturière possède une Ombre et donc elle est fertile.
Tout se termine bien ! L’Impératrice ne cède pas au chantage, ce qui apporte à sa personnalité une dimension humaine. Et les époux Barak en sont sauvés. Le roi des esprit punit la Nourrice et l’Empereur après avoir pris un coup d’immobilité, se trouve délivrée par la grandeur de sa femme qui trouve ainsi la capacité humaine.
Et bien avec tant d’éléments à mettre en œuvre je me suis ennuyée au plus haut point !
Il est vrai que j’étais tellement mal placée que rien n’a été en la faveur de ce spectacle !
Car la mise en scène de David Pountney et Sylvie Döring dans des décors de Robert Israël et malgré quelques idées de costumes assez réussies est à “tuer le diable à coups de bonnet de coton“ !
On entre dans un système codé d’où toute poésie se voit détourner pour un intellectualisme à la “petite semaine“ aux prétentions psychanalytiques fumeuses.
Et pourtant les cinq chanteurs principaux, Roberto Saccà l’Empereur, Emily Magee La femme sans Ombre, Barak Tomas Johannes Mayer, Evelyne Herlitzius la Teinturière et Birgit Remmert La nourrice avec l’orchestre de l’opéra de Zurich et le chef Peter Tilling ont montré un talent absolument parfait, dans la grand ligne des interprètes de Richard Strauss.
Roberto Saccà (l’Empereur) possède la quinte supérieure portée avec panache, assurance et brio qui lui permet de dominer les virtuosités ardues de la partition sans émettre un seul cri. Son chant lyrique, puissant, bien timbré se déroule avec vigueur, énergie et souplesse d’expression.
Emily Magee (La femme sans ombre) remarquable soprano dramatique déroule une ligne impeccable, des aigus en permanence stables et exprime tant sur le plan sentimental, affectif et psychologique toute la démarche initiatique d’une noble personne atteinte par les épreuves humaines.
T .J.Mayer en Barak montre un sens inné du jeu des passions avec un timbre et une technique vocale éprouvés et maîtrisés dans le sens exact du drame.
La Nourrice Birgit Remmert particulièrement bien en place tant sur le plan vocal que scénique est parfaite.
Quant à Evelyn Herlitzius, elle domine son personnage de teinturière avec une capacité vocale époustouflante ! Véritable tragédienne elle transcende les mots et les notes. Avec elle nous parvenons à un état d’oubli total. Elle se fond à l’orchestre de manière instrumentale et en ressort comme transfigurée. Ne serait-ce que pour elle, en fermant les yeux il fallait assister à cette représentation.
Le chef Peter Tilling tient bien la ligne de cet orchestre doté de beaux pupitres solistes et de cordes brimmantes.sa direction est claire, il ne couvre pas les chanteurs. Sa conception globale de l’œuvre privilégie certaines scènes d’aspect violent assez peu équilibrées par la face postromantique de l’œuvre. Tout est quelquefois un peu asséché.
Sans la mise en scène et avec une place correcte la représentation serait d’un excellent niveau.
Amalthée
Représentation du 30 novembre 2014