Nous vivons une époque passionnante. La possibilité offerte par Internet de publier par soi-même ses propres créations et recréactions est à la portée de ceux qui en maîtrisent les règles somme toute assez flexibles. Ainsi votre talent[1] ne subit plus le premier filtre de l’éditeur ou des lobby autoproclamés !
Après la multiplication des disques compacts produits par l’artiste lui même et, éventuellement son équipe -datant déjà d’une bonne vingtaine d’année- à l’exemple du gambiste et chef d’orchestre catalan Jordi Saval, voici que chanteurs, orchestres[2] et maisons d’opéra se lancent dans la production de leur propre label.
Jordi Saval nous a révélé un monde musical magnifique en nous donnant gravure d’interprétations d’une intelligence fulgurante.[3] La Philharmonie de Vienne nous ayant présenté des concerts inoubliables qu’ont négligé les multinationales.
Deux enregistrements d’Alcina de Georg Frederich Haendel étant actuellement sur la sellette médiatique par DVD en concurrence. Je me suis déplacée au lendemain des fêtes à l’opéra de Zurich. On y donnait ce chef d’œuvre de ce compositeur émérite né la même année que J.S.Bach -1650, qui est allemand, mais également le plus“ italo anglais“ de l’histoire de la musique.
Alcina, écrit en 1743 et représenté le 10 février 1744(en Oratorio)et Avril 1755 dans sa forme opératique au Covent Garden de Londres, représente l’archétype de l’œuvre haendélienne. Un drame alambiqué [4]parfois à la limite du burlesque dans lequel les Airs composés priment sur le sens et surtout sont composés pour mettre en valeur les talents exceptionnels de chanteurs.
Le livret vient de L’Isola d’Alcina de Riccardo Broschi (d’origine napolitaine) que l’on connaît pour ses pièces lyriques au service de la voix et comme frère du plus célèbre castra de l’histoire : Farinelli.
Les origines littéraires sont incertaines.
L’île où règne la belle Alcina la magicienne est enchantée et grecque. Des chevaliers revenant des Croisades y échouent et s’y perdent suivis de personnages à leur recherche. Alcina tombe ou ne tombe pas amoureuse. Distribue ses faveurs ou règle le sort de ses proches à sa guise et selon ses pulsions et caprices. Elle est portée à la fâcheuse tendance de transformer les hommes candides ou amoureux qui abordent sa Cour en animaux, végétaux, voire minéraux.
Certains en réchappent pour un temps !
Au premier acte et dès les premiers airs, l’auditeur sait devoir laisser toute chance de comprendre vraiment l’intrigue… et pour peu qu’il n’a pas lu un résumé avant de prendre place, il navigue d’un personnage à l’autre en toute fantaisie.
Ce qui est assez préjudiciable si vous n’avez pas une distribution d’exception !
Or Haendel en premier lieu demande un orchestre de première capacité.
Et ici avec La Scintilla nous sommes loin de la réalité musicale indispensable. Les cordes monotones, flasques et sans rondeurs, les pupitres de l’Harmonie peu généreux. Enfin pour ce volume de théâtre et son acoustique le nombre de musiciens s’avère insuffisant au regard de la manière dont le chef fait sonner l’ensemble des pupitres. Au onzième rang il faut parfois tendre l’oreille. Quant à la direction de Giovanni Antonini elle oscille entre inattention au chanteur et manque de clarté de projet général.
Parlons donc de la mise en scène et de la direction des acteurs. Avec la costumière de génie Ursula Renbrick voici une équipe homogène qui sauve le spectacle et donne une idée assez réaliste de ce qui faisait les beaux jours de l’opéra baroque avec des habits et des décors complètement imaginaires et beaux.
La distribution était attirante et faite pour remplir la salle. Madame Cecilia Bartoli qui “touche à tout“ doit une grand part de sa célébrité à l’établissement suisse où elle a chanté les opéras de Mozart sous la direction du regretté Nikolaus Harnoncourt disparu il y a tout juste un an. Très orientée vers les opéras baroques elle a exercé sur ce “renouveau“ de la musique des 17eet 18e une influence marquante reconnue, bien que cela fut surtout dans des rôles destinés à la mettre en première ligne pour sa virtuosité pyrotechnique vocale.
Aujourd’hui à la tête du festival de Pentecôte de Salzbourg comme directrice artistique elle se lance désormais dans des rôles d’un autre répertoire que le sien. La voix fut de tout temps assez limitée en puissance, si ce n’est courte et étroite pour l’ambitus, malgré un galbe assuré, sans parler de problèmes de timbre qui à certaines notes n’existe plus.
Ainsi je rappelle que Dame Joan Sutherland [5] remit à l’ordre du jour et depuis sa création l’Alcina dont nous parlons en le chantant à nouveau à Londres en 1957. Elle y chantait comme une reine véritable.
J’ai beaucoup aimé “la Bartoli“, mais ce n’est pas être méchante que de dire que ni la Norma de Bellini , ni cette reine Alcina ne sont écrites pour ce genre de cantatrice. La voix n’a plus de densité et le chef à beau ralentir à l’extrême, le résultat demeure peu convainquant.
On attendait avec le contre -ténor Philippe Jaroussky une prestation enlevée et triomphale. Le personnage de Ruggiero est versatile et très volubile .La voix désormais se révèle moins chatoyante et moins souple qu’à Aix en Provence. Il intériorise beaucoup. Enfin il chantait la dernière de Alcina à Zurich le 10 Janvier alors qu’il devait le lendemain soir intervenir à Hambourg pour l’inauguration de l’Elbe Philharmonie. Moins de dix heures séparaient les deux prestations … Avec un voyage entre les deux !
En revanche on a eu le plaisir insigne d’entendre Julie Fuchs, habituée de l’opéra de Zurich. Elle incarne avec grâce le personnage de Morgana. Voix extrêmement soignée et techniquement parfaite, cette soprano avance dans la carrière avec prudence et intelligence. Musicienne accomplie elle a le sens du théâtre .et se joue avec naturelle de toutes les embuches des rôles .Sa prestation scénique est toujours à la hauteur de la dimension de son chant qui s'accomplit à l'aune exacte de sa perception corporel et psychologique du personnage qu'elle incarne.
Bradamante est aussi merveilleusement incarnée par Varduhi Abrahamyan une jeune cantatrice arménienne absolument fruitée et charmante. Belle voix et mention spéciale pour le ténor suisse Fabio Trûmpy déjà apprécié à Aix en Provence depuis quelques
Année et dont on retrouve ici le timbre charmeur de véritable ténor de grâce et la musicalité d’un parfait instrumentiste de la voix.
Une représentation qui laisse un peu sur l’envie. Mais Alcina n’a pas fini de nous interroger car les opéras de Haendel sont parfois de véritables défis.
Amalthée
[1] Ou votre ingéniosité
[2] Berlin, Vienne, Amsterdam, scala de Milan etc.
[3] La visite de son site vous permet de vérifier la somme du travail accompli et d’acquérir quelques exemples de ses réalisations.
[4] Mythique, héroïque, chevaleresque et brouillon. Exactement l’opposé de Shakespeare.
[5] Australienne, inoubliable et immense soprano devant l’éternel dont j’ai écouté et vu la dernière Lucrèce Borgia à Barcelone et dont je me souviens encore comme d’une merveille. Elle avait soixante ans …peut être plus !