Opéra de Zurich
Giacomo Puccini
La Fanciulla del West
C’est à New York en 1910 qu’Arturo Toscanini lève la baguette sur la Première de l’opéra du compositeur G. Puccini La Fanciulla del West.
Enrico Caruso assurant le rôle, peu lyrique, de Johnson alias le bandit Ramirez et Emmi Destin celui de Minnie, la petite sœur ou mère, sorte de sainte laïque des gros bras chercheurs d’or de la Californie en instance de gloire et de richesse.
Le succès fut de grande ampleur, auprès des spectateurs habitués du Metropolitan opéra dont une large partie est d’origine italienne, mais également de par l’origine de la pièce de David Belasco alors le dramaturge le plus célèbre de la Californie et de New York où plus de cent œuvres de lui furent jouées.
Et, ne serait-ce qu’en raison du thème « à la mode » de la Conquête de l’Ouest et de l’Or, par les aventuriers venus de partout et surtout de n’importe où ! Et à tous les sens du terme. Ainsi prirent racines une suite de légendes sur le grand ouest des États Unis .Les cow boys, les Indiens massacrés et la guerre de sécession virent s’y ajouter. Un miel pour des reprises par le cinéma de tous les âges, au point que certains mauvais esprits appelèrent la pièce de Belasco : le premier “Western spaghetti“.
Quarante rappels ! Puccini ne rencontra jamais un tel triomphe avant cette première. Rappelons que son autre chef d’œuvre Madame Butterfly vient aussi d’une pièce de David Belasco. Nous en sommes loin et pourtant six années seulement séparent les deux opéras.
La Fille du Far West est surtout une pièce massive, orchestrale et théâtrale au cours de laquelle les chanteurs solistes placent leurs interventions selon un canevas simple voire primitif et un langage musical moderne, dramatiquement épuré, parfois brutal et grandiloquent. On ne retrouve presque rien de la veine envoutante, sensible et raffinée de La Bohème, peu du partage des airs qui sont réduits à quelques secondes parfois - entre la Soprano, ténor et baryton qui fait la beauté de Tosca . Pourtant Giacomo Puccini dans une lettre à Sybil Seligman confia : Je pense que cette Fille (du Far Ouest) est mon meilleur opéra !
Sur le plan général de l’œuvre du compositeur, cette pièce est d’un style particulier et n’aura pas d’héritière.
L’histoire tient en peu de phrases. Minnie, jeune femme dotée d’autorité, d’une pure vertu et de courage, tient un Bar dans un village minier du mont Nubi en Californie où travaillent de nombreux hommes venus de tous horizons. Nous sommes en 1850. L’Établissement sert de relais de poste et Minnie occupe une situation prééminente à mi chemin entre la mère spirituelle et la confidente de tous. Apaisant les chagrins et la fatigue d’un dur labeur comme les montées d’angoisse et de colère de ces aventuriers auxquels manque la Terre natale. Elle va même, certains soirs jusqu’à lire la Bible…
Le Shérif Jack Rance amoureux d’elle veut à toute force la convaincre. Elle refuse car son idéal demeure une vie telle que ses parents lui en ont donnée l’exemple. Un homme et une femme s’aimant toute leur vie d’un seul et même amour sans partage.
Survient un étranger Dick Johnson, Minnie le reconnais comme une de ses anciennes relations.
Parallèlement, les évènements extérieurs se précipitent. On recherche un bandit redoutable, attiré par l’or des hommes, Ramirez et sa bande, dénoncé par son ancienne maîtresse, serait sur les lieux.
Rance doit le capturer. Il n’apprécie pas le bon accueil que Minnie a fait à Johnson et invite Minnie à se méfier. D’autant qu’elle est la gardienne de l’or des mineurs, et donc très exposée aux agissements des bandits.
Minnie ne se doute de rien ! Elle invite Johnson à sa maison et ils s’éprennent l’un de l’autre. Mais Minnie ne cède qu’à l’amour pur et droit. Ce qui séduit le bandit.
Enfin, Dick Johnson démasqué par Rank est blessé au cours d’une sortie. Minnie le cache dans son grenier. Puis moralement agressée par Rank, elle joue leur destin commun au poker avec Rank. Elle triche et gagne.
Cependant les hommes capturent Dick Johnson etdécident de le pendre sans autre forme de procès ! Minnie intervient en leur rappelant ce que tous doivent à son dévouement et à sa droiture.
Tout est en ordre ! Le shérif dans son établissement, Ramirez alias Johnson sur les pas de Minnie, qui trouveront leur chemin de vie dans ce pays neuf et les mineurs à continuer d’espérer fortune et vie meilleure.
L’opéra de Zurich montait cette pièce dans la mise en scène réaliste de Barrie Kosky, ramassée autour d’un décor de Rufus Didwizus à base unique, les costumes sont actuels et passe-partout. Le bar bien conçu, sert de support à l’action sans obstruer la vision des Ensembles, ni gêner les dialogues et apartés.
L’action tourne vite, les solistes et les chœurs, les chants et les récitatifs quasi omniprésents défilent, à mon goût sans assez de nuance, à la vitesse de l’éclair. Les tutti chantés collent à la musique comme la sueur de ces hommes à leur corps. Par moments le débit des paroles ressemble à un harcèlement brutal ! L’orchestre mené tambour battant, fonce en balayant toute couleur ou variation, tel un flambeau lancé. La tension de l’orchestre sur le public est insistante jusqu’à l’obsession. Il ne manque dans cette atmosphère à la limite de l’étouffement que la cavalcade des chevaux ou le sifflet assourdissant d’une locomotive.
Mais ça marche et le public fut content.
Les chanteurs eurent le mérite de paraître eux mêmes au milieu de ce maelström musical. Le rôle de Ramirez alias Johnson tenu à la première (décembre 1910)par Caruso ,un ténor donc, est tenu par Zoran Todorowich à l’ambitus impressionnant, aux aigus acides mais présents et sonores , le joue à sa manière ,frustre, violente et désabusée . Il remplit absolument son emploi, la voix est là, solide et tendue, le souffle et la puissance d’émission sans défaut et le phrasé abrupt. Il a le mérite de rendre cette partition terriblement ingrate pour un ténor de sa qualité, dans son aspect de “jeu de massacre“, sans mêler une élégance quelconque.
Le rôle du Sheriff Jack Rance personnalisé à l’idéal par l’américain Scott Hendricks est dans le jeu de la détermination unie à une voix large et puissante au timbre assez froid.
Le rôle de Minnie fut magnifiquement porté par l’américaine Catherine Naglestadt. Avec une aisance et un souffle éblouissant. Une ambitus, une gaine vocale parfaitement placés. Des aigus de bronze qui pointe à l’infini semble-t-il ! Une harmonie de couleurs dans le timbre qui instrumentalise la voix. Le phrasé comme la prosodie d’une justesse absolue, la musicalité , malgré la difficulté du rôle, tout effort disparus et une grâce naturelle qui confère à son chant l’ impeccable limpidité et l’apparence de la simplicité. Stupéfiante et proche de nous.
Moins haute en couleurs agressives que Carole Neblett, plus apte donc à figurer la Minnie consolatrice et lectrice de la Bible, elle module sur la beauté angélique de la femme tendre et pure qui tient un part importante dans son rôle. À lui seul ce tableau vaut pour moi tout l’opéra ! Et ce fut un moment inoubliable vocalement et scéniquement grâce à elle.
Pour le reste de la femme engagée, forte de la maîtrise de son destin, elle en a l’aplomb et la féminité idéale. On reste sans voix devant cette interprétation qui éclaire à vif cette représentation.
L’orchestre de l’opéra de Zurich composé d’instrumentistes de premier ordre se montre capable de son dynamisme et de sa qualité instrumentale très riche et variée. Les cordes souples et les bois d’une harmonie scintillante s’accordent à merveille.
Les chœurs, les solistes et l’orchestre de l’opéra de Zurich sont excellents, tout comme le reste de la distribution.
Personnellement je regrette la présence au pupitre du chef Marco Armiliato. Une fois encore il manque totalement de nuances et ne se préoccupe que de l’effet de force ou de l’aspect rude de l’expression générale de l’œuvre. Sa direction extravertie, assommante et par instant difficilement supportable monte les décibels pour obtenir de l’effet !
À cela près la clôture de la saison de l’opéra de Zurich fut de très haut niveau.
Amalthée