Année Richard Strauss
Daphné au Capitole de Toulouse
Une bien belle après midi nous attendait au Capitole de Toulouse en ce dernier dimanche de Juin.
L’opéra en un acte Daphné ne fréquente pas beaucoup les théâtres lyriques. Treizième ouvrage lyrique du compositeur qui est alors dans sa Soixante quinzième année et en pleine gloire, ce fut le jeune chef autrichien Karl Bohm qui en dirigea la Première.
Il est vrai que cette Tragédie bucolique écrite par Strauss entre 1936 et 1937 et représentée en Octobre 1938 à Dresde ne ressemble pas beaucoup aux autres pièces du compositeur. Mais l’Amour de Danaé et Friedenstag non plus !
Inspirée des personnages de la mythologie grecque Apollon et Daphné dont Théodore Chasseriaux fit une évocation picturale mémorable[1], le livret fut écrit par de Joseph Gregor .
Brièvement, l’amour d’Apollon pour la nymphe Daphné ne peut aboutir car la belle, d’une grande beauté est chaste par nature. Elle sera transformée selon la légende rapportée dans ses Métamorphose par Ovide, en Laurier.
De cette merveilleuse histoire Strauss souhaitait nous enchanter en évoquant la nature et ceux qui en sont les plus proches ,comme les peintres du XVIII ème siècle et Watteau, la voulurent voir. Rappelons Trianon et sa ferme à Versailles que Marie Antoinette Reine de France fit construire pour y gouter les joies simples de la campagne mises à sa portée.
La production du Capitole de Toulouse fait appel, pour la mise en scène avec Costumes et décors à Patrick Kinmonth, la chorégraphie ,très importante , est de Fernando Melo, et Zerlina Hugues en prenant les éclairages sous sa direction en a sculpté avec talent toutes les beautés.
Les tableaux, très réussis, situent la pièce au temps de la mythologie grecque, reconstituée selon l’imaginaire européen d’après les ruines antiques encore visibles. Le premier nous place devant la grotte et l’arbre préféré de Daphné. La nature environnante simplement évoquée avec un réalisme épuré, très évocateur d’une vie agreste et idéale. Les tons des costumes s’accordant avec les couleurs minérales et végétales de l’environnement. Puis nous sommes transportés à l’intérieur du temple d’Apollon pour les dernières scènes, en particulier celle des funérailles du berger Leukippos. Une colonne de marbre parallélépipédique porte en hauteur le corps tel une offrande aux Dieux. Et pourtant rien ne semble triste ! La teinte nacrée des pierres de calcaires se marie avec le marbre, les lettre APOL déclinent, de haut en bas, sur les parements des côtés, l’ensemble apparaît dans sa pureté originelle et pourtant que de raffinement dans l’accord des lignes ! Tout semble d’une saisissante authenticité, surtout pour ceux et celles qui connaissent la Grèce et son univers.
La dernière scène ,celle de la métamorphose de la nymphe en laurier est somptueuse ; l’arbre apparaît en milieu de scène portant des milliers de boules de verre coloré en teintes variant du marron au beige, que la lumière se reflétant sur chacune, nimbe dans le soir. L’univers que nous avons sous les yeux est onirique et bucolique à la fois. Il paraît tracé au fusain et au pinceau et pourtant l’eau de la rivière et le chant des oiseaux sont proches de nous au point que nous les entendons bruire.
Hartmut Haenchen nous revenait après sa somptueuse Electra [2]de 2010 et son Tannhäuser de l’année passée. Le geste précis, donnant au plan sonore une aération diaphane et aux soliste comme aux chanteur le soutient discret et efficace d’un véritable instrumentiste, il nous a emportés dans sa barque sonore sur les rives d’un paradis musical straussien rarement aussi beau.
Daphné est une partition qui, pour la plupart des amateurs, demeure encore à découvrir. Et pas de doute le compositeur n’a pas “loupé “son affaire ! Simplement les rôles importants comme Apollon et Daphné et même Leukippos sont d’une très grande difficulté d’interprétation.
Saluons la prestation exceptionnelle en Apollon, du ténor autrichien Andreas Shager. Une voix aux qualités de timbre exceptionnelles, colorée d’or et d’argent, harmonisé d’ombres discrètes pour éviter la crudité du métal, des aigus en fusée d’une fiabilité inouïe, la gaine vocale large, longue, pulpeuse et en harmonie parfaite avec l’orchestre dont elle semble surgir telle un trompette de gloire. Ce ténor m’avait déjà collée au fauteuil avec son interprétation de Siegfried du Crépuscule des Dieux à Lucerne. Mais Strauss pour les ténors a des réserves de pièges, et là qu’il s’agisse des attaques ou des écarts, des passages de registre ou des pianissimi ou du phrasé et de la portée de la voix Andreas Shager est admirablement présent. Scèniquement et vocalement parfait dans sa fidélité absolue au texte, au style et à la musique.
Autre ténor en charge d’une partition des plus arides également, le Berger Leukippos campé avec maîtrise et charme, par Roger Honeywell. Un belle et noble voix, articulation et phrasé bien équilibrés. Il exprime idéalement l’amoureux injustement écarté qui souffre avec constance et meurt presque de même, dans la pudeur d’un grand sentiment.
Franz Joseph Selig en Peneios assure son rôle avec la même et grande voix de basse que nous lui connaissons. Belle et noble allure et chantant avec un soucis constant de musicalité parfaite.
Pour le rôle de Daphné Claudia Barainsky est venue en remplaçante. La voix d’une solidité à toute épreuve coule un peu métallique. Mais le phrasé et le portamento dont elle sait maitriser les changements constants pour cette œuvre parfois en contre-jour, sont bien accomplis. Le rôle est d’une difficulté telle qu’il exige une réserve de souffle et une vaste amplitude que je n’ai entendue que chez la Cheryl Studer des premières et grandes années. Elle demeure très émouvante dans l’expression de ses sentiments et compose avec un timbre parfois inégal. Elle tient la scène durant presque toute la durée de l’œuvre et elle le fait avec fierté et panache.
N’oublions pas les musiciens et solistes de l’Orchestre du Capitole dont la parfaite qualité de jeux et l’harmonie des timbres comme la pertinence des attaques ont permis au chef d’obtenir une partition luxuriante, dansante semée de solis de chants et de fleurs instrumentales alliant l’élégance et la passion.
Voici un opéra de Strauss presque inconnu, qui nous a été donné avec un talent porté au plus haut niveau et qui a soulevé la salle d’un enthousiasme chaleureux tant par la qualité de la partition que par cette interprétation, fruit d’un travail d’ensemble remarquable par lequel chacun des membres s’est dépassé.
Amalthée