Honneur à la tragédie lyrique française
Tancrède de André Campra
Sous l’égide de Musique baroque en Avignon le théâtre du Grand Avignona repris la tragédie lyrique du compositeur originaire d’Aix en Provence André Campra 1660-1744.
Cette reprise d’une partition aux sublimes accents lyriques écrite sur le texte de Antoine Danchet rappelle par une facture digne d’un héritier de Racine que nous sommes encore à la belle époque classique. Si l’argument est tiré de la Jérusalem délivrée écrit par Le Tasse en 1512 d’après L’Arioste, le texte du livret coule en vers comme dans le grand style classique français digne des Comédiens du fameux théâtre.
Le travail effectué pour cette renaissance remet sur le devant de la scène une œuvre qui n’a pas été jouée depuis 25 ans malgré les campagnes “baroques “ nombreuses en tous lieux.
La tragédie lyrique française a fait l’objet de nombreux articles de ma part.
Je rappelle que celle-ci domine en notre pays, par opposition à l’Opéra seria italien qui occupe (envahit ?) les scènes des théâtres de Cours de nos voisins allemands et anglais et au delà. Cependant la France eut dans ce même temps, pour compositeurs des hommes de musique qui entendaient notre langage comme idéal en subtilité, en nuances comme doté de la prosodie parfaite à exprimer les affects et les sentiments tout autant qu’ à raconter les hauts faits et les aventures héroïques.
Tancrède donné en Première à l’Académie Royale de Musique [1]de Paris ouvre l’ère de la tragédie lyrique pour Campra en 1702. Jusqu’à cette date il ne comptait que deux Opéras Ballets dans son escarcelle. Le Carnaval de Venise [2]qui succède à l’Europe galante. Auparavant le Maître de Chapelle de Toulon, St Trophime d’Arles et St Etienne de Toulouse oeuvra pour l’Église, acquérant une renommée telle qu’il arrive à Paris pour occuper le podium de Maître de Musique à la cathédrale Notre Dame.
Il y a peu je vous invitais à commémorer le jubilé de Jean Philippe Rameau, Tancrède anticipe Hyppolite et Aricie de trente années. Mesurons le talent de Campra à créer un style innovant et personnel, celui de traiter la partition musicale à l’ identique d’un dramaturge, la phrase musicale semble épouser le vers dans une symbiose fondue alors qu’elle défie, avec quarante ans d’avance, le fameux adage :Prima la musica dopo les parole [3]! Alors que Lully la traita toujours comme un homme de danse.
La production dont la réalisation revient à une équipe solidement réunie pour sa connaissance du théâtre classique français comme de la musique de cette période.
En tout premier le chef d’orchestre Olivier Schneebeli connu pour son ample expérience de la direction de la musique baroque et classique et fondateur de la maîtrise présente à ce spectacle Les chantres du centre de la musique baroque de Versailles ,le claveciniste et directeur fondateur de l’orchestre Les Temps présents[4],le metteur en scène Vincent Tavernier et la Chorégraphe Françoise Deniaud ,redonnant vieaux créations de Louis Pécour 1653-1729[5].Les Scénographies de Claire Niquet et les costumes de Erik Plaza-Cochet, d’une plastique idéale, d’un goût recherché et raffiné, participent d’une vision respectueuse du mélange des deux époques ; celui du temps des évènements racontés, nous à la premières Croisades avec Godefroy de Bouillon et l’époque de l’écriture de la pièce.
Insistons tout particulièrement sur l’irréprochable qualité d’exécution des intermèdes dansés par le corps de Ballet de l’opéra d’Avignon. La direction sans faille de Éric Bélaud amène unetenue magistrale des ensembles et des solis doublée de l’élégance de toutes les actons. Les pas et les sauts atteignent un raffinement d’exécution dans les moindres détails de la Chorégraphie, et tout semble couler de source avec le naturel d’une source. Ce qui montre l’assiduité et la recherche d’une interprétation idéale. Un dépassement du travail routinier indispensable à l’obtention de la grâce et de la légèreté apparente de l’interprétation. Chacun des danseurs dans un esprit de cohésion et d’union artistiques remarquable a fusionné avec le projet de l’interprétation de l’ensemble. Un magnifique travail !
Applaudissons la magnifique Clorinde de Isabelle Druet, la diction et la prononciation sont celles d’une tragédienne qui pèse son sentiment à l’aune de son âme. Très en voix et d’un lyrisme parfait pour cette partition mesurée et fluide qui exige tant de subtilité et de dosages. Son jeu également bien placé qui lui fait interpréter ce rôle tragique exposé avec une ferveur et une passion digne des plus grandes à leurs débuts.
Le Tancrède de Benoît Arnould engagé et volontaire sur le plan dramatique tient la scène de façon remarquable. La voix possède un timbre un peu pale en couleur mais possède le mordant, la ductilité et la puissance indispensables aux récitatifs en habile combinaison avec les airs “chantés récités “de ce style.
Excellente prestation de Alain Buet en Argant. Tout comme pour l’Iséménor de Eric Martin Bonnet, toujours imposant par un timbre, un corps et une tenue de voix irréprochables.
Cette réalisation mérite tous les éloges et toutes les félicitations à tous ceux qui ont œuvré pour une telle réussite. L’œuvre est si prenante et si passionnée que l’on oublie les heures passées assis face à ce décor qui semble sorti d’une tapisserie des Gobelins exposée dans un théâtre quelque part dans le temps.
Nous avons partagé avec un bonheur sans ombre cette joie de l’interprétation commune qui provient d’un beau rêve commun réalisé par un travail d’équipe remarquablement accompli.
J’espère, nous espérons que l’on filmera une telle réalisation car le niveau d’une telle adition de talents est rare.
Merci à tous et bravo. Que votre succès soit égal sur la scène si prestigieuse de Théâtre de Versailles.
Amalthée
[1] Fondée par Lully sous la protection de Louis XIV.
[2] Qui fut donné à Aix en Provence en 1974 dans une superbe réalisation
[3] D’abord la musique après viennent les paroles ! Une affirmation italienne à laquelle les français auraient pu répondre prima les parole dopo la musica ; Querelle esthétique qui enfanta la Querelle des Bouffons que j’évoquais lors de mes articles sur J.P .Rameau le mois dernier et qui nous donna chez Richard Strauss deux siècles plus tard un ultime opéra Capriccio.
[4] Une émanation pure du Conservatoire Darius Milhaud à Aix en Provence création en 2011.
[5] Maître de Ballet