Don Carlo au Capitole de Toulouse
Un orchestre en grande forme, un chef tendu d’émotion et dévoué à l’œuvre. De très grands chanteurs. Le succès au rendez-vous de cette fin de saison 2012 :2013.
Et cela malgré une mise en scène flottant entre minimalisme et boursoufflure.
Le drame Don Carlo de Giuseppe Verdi, version italienne de 1882/83[1], vint dans le parcours du compositeur après la version parisienne en Français 1867, comprenant l’Acte de Fontainebleau .
Les mélomanes regrettent toujours cette amputation due au fait que les italiens de l’époque habitué aux opéras de trois heures au maximum manifestèrent leur humeur chagrine aux cinq heures et en français de l’œuvre première.
À cela près que le rôle du ténor s’en trouve équilibré et mieux mis en valeur comme rôle titre et que la rencontre dans les Jardins du château royal français, entre la jeune Élisabeth de Valois et son fiancé Don Carlo fils de Philippe II éclaire la compréhension du drame dans toute sa démarche psychologique et humaine.
La mise en scène de Toulouse remonte à 2005, signée de Nicolas Joel, alors Directeur de Théâtre du capitole de Toulouse.
Nous avons retrouvé les décors d’Ezio Frigerio avec un plaisir parfois mitigé d’irritation et les costumes de Franca Squarciapino avec bonheur .La mise en scène[2] entre les mains de Stéphane Roche est énergique, bien pesée sur le plan dramatique en accord parfait avec les chanteurs en présence, leur caractère et leur voix.
Les scènes en rapport avec l’Église et son immense impact sur le déroulement de cette tragédie se déroulent dans des lieux boursoufflés. Les jardins de Valladolid pourraient être un parking, le bureau de Philippe II une cave. Seule la prison donne une idée sensée des lieux où se déroule l’action. Quant à la scène de l’inquisition, elle atteint par certains côtés et moments une attristante sottise.
Mais cela perd de l’importance ,car l’essentiel de cette reprise est dans l’interprétation vocale et musicale, comme dans le jeu équilibré et intense des chanteurs.
Tout d’abord il faut saluer le jeune ténor Dimitri Pittas comme une révélation. Sa composition du rôle de Don Carlo est empreinte de dignité, de ferveur et d’un sens inné du drame. Il nous a bouleversé par un timbre ambré et lumineux d’une qualité musicale quasi instrumentale. Sa prosodie dénuée de toute fatuité et sa prononciation comme son phrasé sont profondément exprimés comme venant du fond de l’âme.sa souffrance et sa douleur comme sa pensée souvent désabusée, demeurent empreinte de pudeur .Pourtant il traduit les feux intérieurs qui le dévorent : son amour pour celle qui fut sa fiancée (La reine Élisabeth) et son désir de servir l’Espagne en prince éclairé comme cette amitié fière et mâle pour Posa.
Roberto Scanduzzi revenu dans ce même rôle de Philippe II, n’a pas pris une ride. La voix s’est même enrichie de vibrations harmoniques nuances qui apportent dans l’ampleur souple l’ émotion à fleur d’âme cependant tenue, à une expression toujours très soignée chez cet italien du nord habitué aux textes de belle qualité littéraire . Personnalité féconde et caractère énergique, son interprétation est un authentique don de soi. Intransigeant, armé d’une fierté irascible et cruelle il domine peu une jalousie littéralement incorrigible et irraisonnée .Il semble en proie à la fragilité d’un colosse au pied d’argile dont l’aspiration intime est d’être aimé pour soi. Sentiment qui lui dicte des élans de confiance envers le Marquis de Posa, puis des maladresses, envers cette épouse française, en réalité la fiancée de son fils, pour parer à la solitude irrémédiable dans laquelle il se sait condamner par son destin royal.
Roberto Scanduzzi, et c’est le défi absolu du rôle, tient la scène avec grandeur, omniprésence et orgueil .Des trois rencontres incontournables.il assument avec autorité et souplesse d’expression la signification profonde apportant à chaque fois un relief particulier et authentique malgré une mise en scène minimaliste en décors. Les acteurs sont debout tout le temps.
Avec Posa (fin d’ Acte I) a lieu un affrontement magnifique avec le baryton Christian Gerhahrer également remarquable et voici le côté humain pointé, accompagné d’une émotion sensible. Vient L’Inquisiteur dont il mesure la dangerosité, le côté humain se rebiffe devant la morbidité du vieillard, la voix se fait tranchante, agressive. Et face à Élisabeth son épouse il compose une figure quasi désespérée qui cependant le voit encore plus irascible. Il se sait agir avec maladresse. Sa fierté annihile tout élan vers elle. Et Roberto Scanduzzi exprime la voix ample ,admirablement timbrée et versatile ,à la fois un amour déraisonnable pour une femme très jeune qu’il ne sait séduire et sa jalousie envers un fils auquel il ne comprend rien ni sur le plan paternel ni comme roi et père .Il détruit ce deux êtres tout en les aimant .Et à aucun instant on ne doute que Scanduzzi en passe par les affres de ce caractère entier, réfractaire à toute domination et concession et qui recevra comma un choc mortel l’erreur qu’il commettra envers le Marquis de Posa. Cet homme fier et dévoué à l’amitié du prince Don Carlo jusqu’à la mort.
Christian Gerhahrer baryton de charme et de caractère apparu sur la scène internationale en 2004 à Salzbourg en Papageno [3]sous la direction de Riccardo Muti.Parfait en Marquis de Posa.La voix est en place, le timbre lumineux, les graves larges et souples, la gaine vocale souple. Phrasé et prosodie sont parfaitement nuancés et compréhensibles, la musicalité impeccable. Une interprétation Posa sans faille, fière et teintée d’une émotion proche de la compassion ; il sait Don Carlo faible de caractère et pusillanime.
Je n’ai pas aimé L’Inquisiteur de Kristinn Sigmundson .La voix est lourde au lieu d’être impitoyable et coléreuse.
Tous les autres rôles sont tenus d’excellente façon .Les chœurs du capitole excellents. Harmonie des timbres maitrise du chant et présence scéniques font l’apanage de ces chanteurs qui pour chaque production savent obtenir la couleur et le style de l’ouvrage avec un naturel et une exactitude remarquables.
Et venons en aux dames pour la bonne bouche.
Tout d’abord la magnifique Tama Iveri en Élisabeth de Valois qui comme Daniela Dessi en 2005, nous a profondément séduits et émus. Elle possède véritablement tout pour incarner cette reine au caractère digne, portant sa douleur d’un même front impassible et recevant l’outrage d’insultes injustifiées.
Son âme broyée tempère de nostalgie toutes ses interventions. La sonorité musicale du timbre doré et l’ampleur de l’ambitus parfaitement dans le focal, comme le legato parfait sont soutenus par une technique du souffle d’une extrême élégance. Fière et douce elle fait de son air ultime “†u ché de vanita“une véritable prière qui mêle la suavité et la grandeur d’âme.
Comme dans Desdémone qu’elle chanta à Orange elle est à présent un des grands sopranos verdiens de cet anniversaire.
Nous attendions avec curiosité la mezzo soprano Christine Goerke car le rôle de la Princesse Eboli exige des ressources vocales et physiques de puissance et d’endurance à la hauteur.Rôle à effets et bien plus car il exige les deux registres grave et aigu de la voix de femme avec un largeur et une tension exceptionnelle de la gaine vocale.
Et bien ! Nous avons applaudi à tout rompre !
Après une Chanson du Voile (acte I) digne d’être enregistrée ! Elle nous a lancé un “O don Fatal,O Don Crudel à vous laisser sur place !
Non seulement elle atteint la grâce et l’envol galant et gracile dans le premier air…mais elle déboule comme frénétique dans le second et sans déraper ni crier vous saisit et vous fait trembler de bonheur. Semblant retenir cent chevaux partis au galop elle vole sur les notes en cascades et termine ses imprécations avec une élégance, une souplesse déconcertante. Le timbre chaud et limpide, l’expression et le caractère entièrement voué à cette femme diabolique qui se rachète de manière admirable, voici une Eboli royale.
Une mention pour la jeune Daphné Touchais dont le timbre agréable et l’ excellente technique vocale lui ont permis de camper un excellent Tebaldo.À condition qu’elle poursuive dans ce genre de rôle elle deviendra excellente. Mais si elle retourne au chant baroque…cela donnera une chanteuse baroque de plus, et l’opéra y aura perdu une bon élément.
L’orchestre du Capitole de Toulouse en grande forme était dirigé par Maurizio Benini. Excellents tempi, plans sonores très bien organisés dans l’espace, avec un accompagnement au chœurs et aux chanteurs très efficace .Cette musique semble naître sous sa baguette tant il la ressent du fond de lui-même.
La fin de la saison 2012 2013 se terminait ainsi en apothéose sur le plan musical et vocal. Commencée avec le Rienzi de Wagner elle a reflété le double centenaire Verdi Wagner.
Amalthée