Carmen en Avignon.
Ballade pour un mélomane
Alain Guingal danse avec l’orchestre !
Tandis que Nadine Duffaut attaque de front !
Pour sa dernière production de la saison l’opéra d’Avignon reprenait la production signée par Nadine Duffaut et quelque peu réinventée de celles d’Orange et donnée en ce même théâtre d’Avignon il y a quelques années. Refonte totale dans le ton du misérabilisme.
On note et nous sortons véritablement de la Nouvelle de Mérimée comme du livret original de Meilhac et Halévy avec l’apparition de la mère de Don José nullement distribuée dans la partition originale... pas plus que dans les versions de partitions qui se sont succédées depuis la création de cet opéra en 1875. Que l’on se réfère aux “Dialogues parlés“, dialogues accompagnés de musique ou rajoutés... et même selon certains chefs et metteurs en scène, de versions à couplages fantaisistes.
Donc, un ajout de taille, non pas sensé aller dans le sens de l’histoire, mais plutôt cheminant de pair avec une sorte d’analyse de la psyché de Don José.
Et pour nombre de personnes qui aiment l’œuvre et dont je suis,c’est aller loin. Très loin, mais pourquoi non ? compte tenu d’un personnage brutal ,primitif, émotif primaire n’écoutant que son bas de ceinture qu’il confond avec le cerveau .Et même s’il parle d’honneur ,nous savons qu’il n’y entend rien.ce velléitaire joue les gros bras avec les uns et les autres mais ne sait se dominer.
Donc la voilà ,cette mère exemplaire,sur scène, et à trois reprises. Tout d’abord dans l’encoignure d’une porte coulissante de garage, écrivant assise à une table, la lettre destinée à son fils. Lettre accompagnée d’une bague 1,le tout confié à la “petite“ Micaëla qui se rend à Séville.
Ensuite,deuxième intervention à la mezzanine du garage (sensé représenter la place où chacun passe) 2 .Dressée comme un spectre (déjà) ! elle rapporte tout haut son propre texte sensé être lu murmuré par José .Et ce dernier reprenant la parole pour un propre commentaire puis la promesse lancée en l’air “d’épouser Micaëla, qu’il ne tiendra pas,.Comme pour se protéger de Carmen ?Ultime et misérable paravent psychologique que cette promesse. Juste avant de céder à l’odeur de la fleur,à l’odeur de la femme sensuelle et captivante comme un Jardin oriental ! Un parfum qui s’impose à lui comme le refus d’une médiocre vie de troufion d’une garnison d’imbéciles galonnés !
Troisième apparition,la voici qui déambule au travers de la taverne de Lilas Pastia...3 et là nous ignorons qui de Micaëla ou de son fils José, la dame serait en quête...pour le ou la ramener dans “le bon chemin“.
Il se peut que le mental de José , son esprit petit-bourgeois et son tempérament sans envergure soient le fruit d’une éducation administrée par une cagote .L’éducation d’un fils pour une mère veuve relève souvent de la quadrature du cercle. Cagote au cœur d’or ,car elle a recueilli Micaéla qu’elle aime comme sa fille...probablement bien d’avantage que ce garnement de José qui ne lui a causé que des ennuis.
Tout,dans la conduite erratique de l’engagé militaire comme dans ses chants et paroles construites par l’œuvre le dit ! Mais notre si chère Nadine nous administre ce supplément d’une brave ménagère à cheveux blancs tachant de sauver son coq imbécile ,afin d’enfoncer dans notre tête qu’il existe des mère abusives à toutes les époques. Et que, ce sont les femmes amoureuses,voire aimantes qui en sont les victimes. Je suis bien d’accord avec elle et la petite Micaëla au visage d’ange se révèle alors une garce revancharde patentée qui joue la Sainte Nitouche. Et j’en connut de telles. Et l’on comprend alors l’autre variante...apportée par notre metteur en scène ,celle de la fin même de l’œuvre. Et même si nous croyons rêver , le subconscient des auteurs nous est révélé à la scène ultime ! Micaëla poignarde Carmen .
Et si Escamilllo se rend bien aux Arènes pour tuer le taureau !
Vous avez bien lu !
Carmen quant à elle, n’est pas exécutée au nom d’une jalousie féroce,aveugle et folle qui possède le béjaune Don José ,mais par Micaëla. Et tant pis ! José y laissera sa tête .Car elle , la fidèle et pure jeune fille orpheline, candide et aimante a tout perdu. Fort l’honneur !
Avec un peu de chance la maman de José par le miracle de la prière se remettra de ses langueurs et Micaëla lui servira de fille aimante jusqu’à ses 90 ans ! bella vita !
Car,il va sans dire qu’elle ramasse la fameuse bague par terre. Bague que Carmen quelques secondes avant sa mort -et ça c’est dans le livret orignal- a jetée par terre.
Éloignée ?Distancée ?La Carmen personnage central de l’opéra ?
Ce rêve d’ascension sociale sous jacent à la soif d’indépendance,qui lui fait tout d’abord s’intéresser à un militaire(la sécurité quoi que l’on en dise) puis ensuite à un Toréador(une vedette confirmée en Espagne,donc une star avec de l’argent),ce qui ne se néglige jamais .
Carmen qui est,sous l’apparence d'une ouvrière de manufacture, contrebandière,femme d’affaires. Et donc loin d’être une folasse ou follingue de la liberté pour la liberté. Mais bien plutôt une contestataire du machisme forcené et des mécanismes pervers de la classe sociale (hommes et femmes)ambiante.
La voici toujours femme affranchie des coercitions et autres servitudes de la gente masculines grégaires .À cela il y a un prix ! le prix de l’altérité, cette supériorité intrinsèque, au regard des autres femmes (soumises et complices de ce système quiles arrange) .Car plutôt que dégringolée de son estrade par un “fada de l’honneur et de la vertu“,Carmen ici est rayée de la carte comme un modèle exemplaire gênant de “maîtresse femme“ par une concurrente rétrograde à l’image d’une rivale jalouse.
Cette mise en scène peut paraître intellectuelle . Mais elle est loin d’être insensée. Je lui reproche un manque de nuances éclairantes et de ne pas avoir cultivé la distorsion de deux mondes qui s’interpénètrent :celui des “gitans et autres marginaux artistes ou saltimbanques de la contrebande“ et les autres gens de la société rangée,policée,pliée aux règlements et à la bonne conduite,nous dirions aujourd’hui les “politiquement corrects .Le propos me séduit et m’intéresse,il m’aurait totalement accrochée si l’on avait respecté l’époque de la création 1875, pour certains traits afin de détourer les personnages archaïsant d’un contexte en voie d’évolution.Cela dit les actions pensées et affirmées avec talent pèsent toujours valablement sur un œuvre,et quelle œuvre !Carmen,l’opéra le plus joué au monde.
Les décors d’Emmanuelle Favre sont sans intérêt et les costumes de Katia Duflot sont loin d’être exceptionnels .
À la tête de l’orchestre d’Avignon formé d’instrumentistes de très grande qualité et parfaitement virtuose ,un orfèvre en la matière Alain Guingal.
Il est chez lui dans ces murs. Le chef qui a cent fois dirigé le “ténor lyrique le plus élégant de sa génération et le plus fidèle ténor du siècle“, le brillant Alfredo Kraus , dirige Carmen à la française,clarté,et lyrisme envoûtant. Nous sommes avec Bizet,au cœur d’une Espagne de légende toutes influences confondues. Avec son orientalisme à la Salambô de Flaubert ,sa fièvre et ses parfums andalous incomparables sous les feuillages sulfureux .
Nous avons entendu les instruments solistes dans des détails étourdissants de raffinement,puis éloquent pour vriller la violence de cette douceur pointée,enrobée qui glisse sous la peau , atteint les sens de l’auditeur à le faire trembler de joie...et au cœur de la chair des tutti d’orchestre les plus violents,comme les plus “convenus“du discours ,en apparence surmonté d’un “clinquant d’opérette“ ,la grâce et l’élégance du rythme et des tempi qui ,un peu chaloupé,un peu retenu comme une danse, vous plaque haletant de la suite que,pourtant vous connaissez !et devinez ! Et qui vous arrive dessus comme une fabuleuse et nouvelle révélation de la partition.
Nul besoin de cent instrumentistes ,la fosse d’Avignon convient à Maître Guingal4. Il a tant de puissance et de sentiment, de force convaincante et de passion maîtrisée au bout des doigts et du cœur qu’il parvient à nous révéler encore quelque face inconnue de l’œuvre. Cette interprétation tantôt diabolique et tantôt sage ,raisonnée et pourtant parfois haussé de fantaisie qui fait la saveur de la musique française que nous aimons.
Béatrice Uria-Monzon chante,fort bien et intensément, l’une de ses dernières Carmen. Après avoir pris et repris ce rôle tant de fois au cours d’une vingtaine d’années et notamment à Bordeaux en 1994,elle s’adonne désormais à des personnages plus en rapport avec son talent comme celui de Santuzza de Cavaleria Rusticana ,un triomphe en 2009 à Orange ou Eboli (Toulouse). Sa conception de Carmen n’a pas réellement changé, sinon qu’elle a mûri et que la chanteuse semble un peu “rangée“ ou extérieure à ce drame passionnel parfois équivoque.. Je dirais qu’il l’atteint moins que par exemple lors des représentations d’Orange quelques années plus tôt .Mais elle demeure l’idéal d’une image du rôle que toute cantatrice finit par marquer de sa personnalité...Sinon,il n’y a pas de Carmen sur le plateau ! Et en ces soirées,d’Avignon Béatrice Uria- Monzon a dominé une distribution plus qu’inégale.
En Don José, l’improbable Jean Pierre Furlan qui de tant à autres parvient à tenir un rôle de bout en bout. Mais pas ce soir là. La voix est métallique,sans harmonique ni nuances. En fait le physique lourd et peu engageant du chanteur en fait un personnage battu d’avance qui convient au rôle sous une certaine acception.
La Micaëla de Sophie Marin-Degor est chantée en bonne technicienne musicale et jouée avec souplesse.
On est heureux des deux “bohémiennes accompagnatrices“ la Frasquita de Hadhoum Tunc, pétillante,voix originale et séduisante ,tout sourire et pourtant très nuancée pour une interprétation de caractère. Et la Mercédès de Julie Robard Gendre, dont le timbre velouté et doré annonce le savoir faire d’une musicienne polyvalente accomplie. Cette personnalité lyrique déjà bien déterminée,dotée d’un ambitus large et ample de mezzo de caractère est capable de virtuosité spontanée,de versatilité comme de grands nuances expressives. Nous aurons le plaisir de la revoir entre autre dans Thaïs l’année prochaine.
Un Escamillo sans grand caractère, chantant juste et correct lancé trop tôt sur la piste des baryton français d’envergure qui surent équilibrer une chant “cravaché “à un phrasé d’une élégance mordante, Ernest Blanc modèle absolu non détrôné encore aujourd’hui même par l’excellent Van Dam, mais surtout pas Monsieur Raymondi. Le jeune Pierre Doyen devra chercher à acquérir la carrure du personnage .Écouter les bons enregistrements de cette partie “pour briller de son mieux“ dans ce rôle incontournable,loin des fanfaronnades mais centré sur l’acuité d’un caractère puissant,élégant et inattaquable, dont Gabriel Bacquier a dit : il paraît impossible ! Mais quel défis. En lisant son court état de carrière,il se devine que Pierre Doyen n’a pas rencontré le modèle ,ni le professeur qui lui donnera les clés de ce style de rôle brillant,ardent et glacé à la fois.
Voici une fin de saison intéressante à plus d’un titre et nous nous retrouverons en Novembre pour Thaïs de Massenet. Thaïs et une autre lecture de Madame Duffaut , passionnée , un peu casse cou de son métier et qui a toujours quelques traits nouveau dans ses manches. Le chef Alain Guingal qui ne se trouve pas si souvent dans cette fosse fermera également la Sasion prochaine,2011-2012, toujours une mise en scène de Nadine Duffaut pour Tosca de Puccini.
Amalthée
Représentation du 26 mai 2011
Référence discographiques : Béatrice Uria Monzon a enregistré Carmen de manière exceptionnelle avec mon très cher ami Alain Lombard et l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine. Chez Auvidis. On le trouve encore dans les bacs du disquaire.
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1 Achetée par elle même pour des fiançailles plus que souhaitées par la digne dame, de José et Micaëla . Détail de très grand importance qui avait plu et avec justesse dès la première version de Nadine Duffaut
2 Acte 1 scène 2 Chant di chœur des badauds au premier acte avant l’apparition de tout personnage
3 deuxième acte
4 Alain Guingal a dirigé les meilleurs orchestres du monde et sa modestie égale son talent.