Moins de un an après la visite du Bolchoï, Marris Jansons dirige en concert l’opéra le plus aimé de Tchaïkovski, l’incomparable Eugène Onegin.
Sans doute le pari de donner cette pièce d’une théâtralité puissante sans décors,mais avec une distribution vocale et musicale exceptionnelle, s’avère-t-il garant de sa validité et de sa véracité d‘expression.
Car rarement une partition à nue n’influe autant sur l’auditoire.
Sa facture rayonnante magnifiquement distribuée rôle par rôle,état d’âmes, autres sentiments et réactions comme événements après événements, décrit avec maestria la tragique destinée d’un homme galant, snob et frivole d’apparence et son double intime : maladroit, brusque, amoureux primitif mais par dessus tout dominateur,d’un monstrueux égoïsme.
Autour de cet homme les victimes sont loin de pâlir, se révélant admirables ou simplement humains de toutes leurs fibres.
L’action découle d’après le Roman en vers que Pouchkine écrivit entre 1825 et 1832. Une étrange similitude : semblerait à beaucoup que Pouchkine1 aurait été inspiré par quelque prémonition.
La mouture qu’en donne le lyrisme incomparable du compositeur, est sortie tout droit de la souffrance et de la torture psychologique endurée lors de son mariage catastrophique avec une de ses élèves. A.Milioukova ayant déclaré son amour par de nombreuses lettres qui ont provoqué la décision de l’épouser,Tchaïkovski aurait été effrayé par la conduite d’Onegin envers Tatiana.
L’action se passe dans la propriété terrienne des Larine. Eugène Onegin se trouve hériter d’une propriété voisine. Il y vient reconnaître les lieux et devient l’ami, d’un autre voisin, le jeune poète Lenski promis à la main d’Olga la plus jeune des fille de Dame Larina. Onegin Dandy et coureur de femmes s’ennuie ferme après quelques jours. Lenski, l’emmène visiter les Larin et sa fiancée. Tatiana sœur aînée d’Olga. tombe éperdument amoureuse au premier échange de regards avec Onegin. Elle en perd la mesure et la retenue pudique de toute jeune fille de l’aristocratie russe. Et se livre tout entière dans une lettre enflammée à Onegin. Qui l’admoneste poliment en lui disant tout de même qu’elle représente certainement l’épouse idéale. Mais que lui ne recherche nullement à se marier. Ce qu’elle paraît et veut paraître à ses yeux serait digne d’une amitié fraternelle. Et lorsque Lenski le fait inviter à l’anniversaire de, chez les Larine, au cours du bal, il provoque d’une façon éhontée la fiancée (Olga) de Lenski, à tel point que ce dernier le provoque en duel.
Lenski est tué par Onegin Qui se trouve bouleversé de remords et part en voyage quelques années. Revenu à Saint Petersbourg, il se rend à un bal. Et là, découvre sidéré une femme admirable de beauté et d’élégance, Il est bouleversé devant celle qui n’est autre que Tatiana, Princesse Gremin, épouse du général. Il découvre à quel point il l’aime et veut la reprendre.
Oui elle l’aime encore, elle n’aime que lui ! Mais non il doit oublier et pour toujours, car elle demeurera à son mari.
Revenons un instant sur la partition, pour admirer et attester de la finesse, de l’élégance et de la puissance maîtrisée par la musicalité idéale de Marris Jansons. Des pages comme à l’infini, conduites à leur caractère pathétique sans une seul phrasé ou élan pathologique ou pleurard, mais particulièrement et magnifiquement déployées d’un souffle unique et superbe. Rarement un chef, ne s’immerge à une œuvre comme cet homme ! Nul ne m’aura autant impressionnée depuis Karajan avec un tel respect de l’adéquation chants, instruments poésie et tragédie. Je garde de cette soirée le souvenir d’un bouleversement total, indicible et merveilleux.
L’Orchestre de la radio de Bavière s’est montré en parfaite complicité de souffle, d’élégance, de virtuosité instrumentale avec ce chef admirable.
Un hommage absolu à la soprano polonaise Stefania Toczyska l’aînée des chanteurs. Son interprétation de Larina la montre ici parfaitement à l’aise, naturelle et noble. Le timbre, le legato, la gaine vocale et la technique toujours impeccables, armés et soutenus d’un souffle splendide. La voici au cours d’une longue et fructueuse carrière si bien conduite comme sa voix.
Veronika Dzhioeva a ébloui le public au delà de l’attente en s’illustrant en Tatiana. Elle possède le physique et la voix. Prix Maria Callas en 20052 et Rossignol à Kaliningrad en 2009 son Air des Lettres si long ,exigeant semé de naïfs accents et tendu d’émotions et de transports contradictoires, nous a révélé un tempérament, un caractère et une stature de grand soprano lyrique. Tant sur le plan du phrasé que de l’expression de tant de tourments survenant à l’instant et envahissant son esprit et son âme que sur le plan d’un legato impeccable et d’une gaine vocale et d’une portée sans défaut . Elle se place en situation d’instinct et colore de nuances personnelles un timbre dont la jeunesse émue jusqu’au larmes n’a d’égal que son souffle . Tout en elle est d’une grande artiste .Son âme,son intelligence ajoutent leur nuance méliorative à un beauté physique idéale et originale.
Marina Prudenskaja campe une Olga volontaire,naturellement à l’aise. Technique impeccable,souplesse et phrasé expressifs et justes de grand style,pas de décorum superflu mais une capacité à jouer le jeu dangereux de la fausse séduction envers Onegin et l’immense chagrin lorsqu’elle saisit à quel point sa conduite capricieuse est une gaffe irrattrapable envers Lenski…mais trop tard !
Très très applaudie la Nourrice Filipievna de la soprano georgienne Nona Javakhidzevenu en remplacement de dernier jour. Un très belle voix expressive passant haut l’orchestre et une diction parfaites donnent à l’expression de ce personnage résigné ,compatissant sans mièvrerie mais serein un chant coulant rafraîchissant ,consolateur et bien porté.
Admirable Lenski, poète à la voix timbrée d’or et dont la technique vocale sans défaut lui assure de triompher des difficultés de ce rôle tout en nuances qu’il donné en bouleversant la salle prête à pleurer.Nous applaudissions à tout rompre le ténor roumain Marius Brenciu qui de transports ardents en mélancoliques accents désolés a su traduire l’intime tragédie de ce poète ayant atteint son idéal et qu’un jeu stupide emporte dans son sillage irrésistiblement. Ses deux airs dont le second avant le duel est le plus long de tout le répertoire russe lui ont valu une ovation. On le sent absolument concerné et pris par son personnage. Voici une remarquable voix et un chanteur qui soigne et maîtrise de façon très élégante toutes les difficultés pour parvenir à une image absolument achevée de son personnage. Il dénué de prétention ,se défie des coups de “chiqué“ par lesquels certains ténors parfois pensent intéresser l’auditoire. Un nom déjà bien connu mais qui montera encore dans les distributions des grandes maisons.
Nous attendions tous le fameux et unique Air du Prince Grimin et Mikhail Petrenko nous en a donné une interprétation d’une sensibilité mature et profondément bien sentie. La tendresse et la bonté du caractère de cet homme rude(il est général)familier des combats et de la violence guerrière)qui en Tatiana a trouvé une âme sœur et un parfaite compagne pour une apogée de destinée parmi les siens. Mikhaïl Pentrenko est d’une éclatante jeunesse vocale et physique et il a su admirablement assouplir et retenir la flamme et la puissance de son talent pour atteindre un sommet de l’expression d’amitié,d’affection amoureuse pure doublé du noble geste de la confiance envers Tatiana.
Guy de Mey entré dans le rôle de Monsieur Triquet en a rendu toute la verve,la drôlerie et la philosophie grinçante. La voix de ténor légèrement trial est conduite avec la même musicalité qu’à son habitude et malgré l’absence de mise en scène il parvient à illustrer ce personnage en contre point d’une façon magistrale.
Enfin pour ce rôle titre si exigeant le très grand baryton basse Bo Skovhus a illustré le personnage énigmatique et violent d’Onegin..Une nature,un caractère d’une trempe donjuanesque nuancée de noblesse,qui parvient grâce à la souplesse de son expressivité à donner à sa dernière scène de désespoir une dimension presque surhumaine. Et cela sans se départir de la maîtrise musicale du rôle,sans tomber dans le pathos et en affirmant le pathétisme envoûtant de cette œuvre poignant et troublante .La voix ,même si elle n’a plus tout à fait le reflet de cuivre des années passées est encore somptueuse.
Les chœurs de la Radio Bavaroise tout comme les musiciens ont été portés à leur niveau optimum par Marris Jansons ,véritable orfèvre de la soirée.
La tragédie se lit sous un double aspect,intime et très ouverte. Ouverte par la vivacité sans artifice,naturelle d’expression presque populaire et à la “bonne franquette “de certaines scènes qui soudain vont se retirer comme la mer ,,du propos alors qu’Onégin,soudain excédé par tant de naïveté,de prime saut devienne méprisant et casse cette entente des êtres,de la nature et de destinées heureuses ensemble. Intime,car le drame s’installe et fait lever d’autres drames,d’autres inquiétudes et interrogations,sournoises et exigeantes,qui feront taches d’huile,dès lors que par dessus ces existences rangées,protégées ,calme d’une vie quiète , suave, laborieuse dont il déteste la nuance et la saveur, Onegin voudra,exigera du fond de lui même que disparaisse pour tous ce“petit bonheur“…Puisqu’il est incapable de le comprendre dans toute sa puissance induite.
Et dans la direction admirable de Marris Jansons, passent ces scènes si fragiles de tendre sentiments heureux,et cette poésie du bonheur perdu pour tous dès lors qu’un des leurs se désespère et cette terrible confusion des sentiments et de l’amour charnel et spirituel dans lequel un regard vous plonge sans répits. Poésie et rêve,irrémédiable brisure,blessure sans remède autre que la mort.
Onegin et Tatiana vivront un bonheur d’amertume pour s’être aimés à contre temps.
Une représentation de concert inoubliable;
Amalthée
Pour tous renseignements concernant le Festival de Lucerne:Prochaine session cet été à partir du 12 août jusqye mi spetembre,Festival de Piano en Novembre et festival de Pâques la semaine précédent le Dimanche des Rameaux. Visitez le site Festival de Lucerne
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1. Alexandre Pouchkine ,dont l’épouse Nathalie Gontcharova assez coquette et dispendieuse intéressait fortement celui qui était devenu son beau frère l’alsacien d’Anthès,fut tué par ce dernier en duel. Le motif une lettre d’insultes du poète au beau père de d’Anthès après une suite de mauvaises et insultantes suite de manières de la part de cette famille contre lui. 25/01/1837
2. Athènes