Cette année La Ville Morte de Wolfgang Korngold (1897-1957) entre au répertoire du Capitole. La réussite est complète. Le public a applaudi debout cette pièce lyrique captivante et somptueuse composée et jouée en 1920. E.Korngold est alors âgé de 23 ans.
Cet autrichien, ultime romantique du Mittel Europa naquit à Brno en Moravie[1]. Son père est journaliste et excellent pianiste. Homme ambitieux et intelligent il produira l’enfant prodige dès ses cinq ans devant la haute société viennoise et même l’empereur François Joseph. Erich compose également dans un style post symphonique qui émerveille tous ceux qui l’entendent y compris des compositeurs tels que Puccini et Jean Sibelius.
Après le succès du Ring des Polycrates et Violanta aux alentours de ses seize ans, il compose Die Tode Stadt (La Ville Morte) d’après le roman de Georges Rodenbach sur un livret de Paul Schott. Le succès est tel lors de la création en Avril 1920 que Korngold devient le chef d’orchestre de l’opéra de Hambourg.
Le sujet est le fruit d’une superbe imagination. Symbolisme et surréalisme se partagent les influences. Tandis que la partition est dominée par un optimisme et un appétit de la vie très prenant.
Paul veuf demeure hanté par le souvenir de Marie .Il vit à Bruges…Bruges la morte ! Chacune de ses pensées et tout ce qu’il accomplit demeure dans l’orbite de sa femme adulée, aimée au delà de toute réalité. Puis il rencontre Marietta une charmante jeune femme qui travaille dans un théâtre, danse et chante. Elle est séduite, elle lui plait. Sa ressemblance avec Marie parvient à faire réagir Paul. Cependant cette rencontre au cours de laquelle il a éprouvé un bonheur d’“homme vivant “, perturbe son rêve dans lequel il voudrait ou veut absolument se confiner, seul, enfermé. Dès cet instant il ne sait s’il éprouve un sentiment pour Marietta confondue avec Marie. Il se et lui reproche, le plaisir éprouvé et partagé. La jeune femme revenant le visiter, joue avec une tresse de cheveux de la disparue, alors Paul l’étrangle ! Du moins il le croit ! C’est son rêve…∂e même qu’il sanglote d’avoir fait l’amour avec Marietta. Il lui invente une infidélité avec un de ses amis ! La vie qui veut sourdre et le souvenir se mélangent dans ce cheminement vers la lumière d’une nouvelle destinée qui va clore le drame. Rarement les symboles et les vœux secrets auront eu une telle musique qui accentue et transcende à merveille toutes les pensées et les actes comme le subconscient des individus en présence.
La production, venue du Théâtre National de Lorraine expose lisiblement le chef d’œuvre. D’habiles décors sobre et évocateurs réservent six chambres superposées, accotées par trois qui s’ouvrent pleinement et partiellement selon les scènes. Nous devons cette mise en scène mariant lumières et profonde obscurité à Philipp Himmelmann dans des décors de Raimond Bauer. Les costumes très soignés et élégants sont de Bettina Walter.
La direction confiée à Léo Hussain nous a révélé une partition enivrante, somptueuse dont le lyrisme emporte l’auditeur dans ce monde créé par le texte et la musique. De forts accents venu du monde “de ces dernières années viennoise “dont Stephan Zweig évoque les charmes dans Le Monde d’hier, souvenirs d’un Européen.
Léo Hussain possède la fermeté et la souplesse de cette partition qui s’élance vers des sommets sublimes, étire ses effets voluptueux et emporte comme le vent.
Le rôle de Paul revient au ténor allemand Torten Kerl, magnifique voix héroïque dont la quinte supérieure parfaitement timbrée demeure étonnante. Il a tourné le film de La Ville morte dans ce rôle et sa prestation est rarement égalée. Il impressionne et envoute son auditoire dans ce rôle dont il possède tous les secrets et les revirements, dont sait colorer les expressions les plus opposées et les réactions si intensément volatiles par moments ou graves et profondes, voire désespérées à d’autres.
La découverte de la soprano Evgenia Muraveva en Marie, Marietta, ajoute au bonheur de cette représentation. Voix étincelante et ample. Un timbre éblouissant, une ferveur vocale saisissant par sa justesse de ton et son aisance naturelle. Belle en scène, élégante d’une vivacité et d’un allant irrésistible.
Thomas Dolié, excellent chanteur et comédien et Matthias Winckler très investi, dont le timbre séduisant fait merveille, se partagent les rôles de Fritz et Franck avec des voix jeunes, bien conduites et des jeux de scènes d’une formidable efficacité.
Enfin La Brigitte de Katharine Goeldner, donne aux premières scènes de l’opéra son caractère intense et grave. Par une interprétation profondément pensée et émise avec un immense sentiment de tristesse elle plonge l’auditoire dans l’atmosphère de cette ville morte au creux de laquelle se débat un homme aux prises avec un chagrin irrémédiable. La voix au légato parfait, au timbre pur et velouté comme le phrasé parfait donne à son personnage un relief saisissant.
Une réussite absolue. Deux heures de bonheur lyrique. Nous espérons tous que la production pourra être donnée en télévision.
Amalthée