Anniversaire : Claude Debussy
1862-1918
Achille Claude Debussy nait à Saint Germain en Laye le 22 août 1862,il y a tout juste 150 ans. La maman Victorine Manoury est fille de restaurateur à Tonnerre (Yonne). Le père(Manuel) simple soldat dans l’infanterie de marine a accompli de nombreux voyages lointains .
Sans doute transmit il, par l’ évocation de ses nombreux souvenirs ,la nostalgie et un sens inné de la mer qui se trouve dans certaines œuvres de son fils que certains qualifie d’impressionnisme [1] en musique .
Manuel Debussy et Victorine occupent une maison rue du Pain, dans laquelle ils vendent des poteries .Les affaires n’étant pas florissantes, après un déménagement à Paris Manuel travaille comme courtier puis comme ouvrier imprimeur et enfin comme employé à la Mairie du premier arrondissement.
Début 1870 Victorine et les enfants partent pour Cannes et la maison de Clémentine Debussy [2]la tante et marraine du jeune Claude fait sa rencontre avec la musique avec Jean Cerruti, italien et violoniste de 42 ans auquel la tante le confie pour des leçons.
Après la guerre de 1870 sera nommé capitaine dans les troupes révolutionnaires de la Commune et hélas condamné à quatre années de prison en 1871.
Sa peine commuée après un an en indignité civique ,il a cependant rencontré en prison le beau frère de Paul Verlaine Charles de Sivry ,musicien autodidacte ,chef d’orchestre .
Bientôt tout le monde rentre de Cannes et s’installe rue de Pigalle non loin de la maison de,Mathilde Mauté, la sœur de Sivry .
Leur mère Flore Mauté de Fleurville ,pianiste de haut niveau dont on disait qu’elle aurait reçu des leçons de F.Chopin, accepte pour élève le jeune Claude dont elle a décelé le talent en herbe.
Elle eut le mérite de donner avec le plus grand soin d’utiles et claires leçons et de jouer et faire jouer Bach en le rendant vivant ce qui à l’époque était extraordinaire.[3] Après un an de leçon le père se met en rapport avec le musicien d’origine aixoise auteur de :Désert ,Félicien David . Il pense que Claude bien qu’il n’ai suivi aucune école sauf les cours de sa mère en matière d’enseignement général peut postuler pour le Conservatoire de Paris.
Voici ce que le compositeur écrivit à Monsieur Réty secrétaire du Conservatoire :
« Cher Monsieur Réty, je vous adresse un enfant que son père désirerait faire entrer dans une classe de piano. L'enfant a un bon commencement. Voyez par vous-même,si vous pouvez l'admettre, vous me feriez plaisir. Bien à vous, Félicien David.
Fut admis avec trente trois autres le 22 octobre 1872 .Il avait tout juste Dix ans et deux mois.Piano dans la classe de Marmontel, solfège avec Lavignac ,le fameux auteur du Voyage à Bayreuth.
1874. Enfant dissipé, souvent en retard…Et maman ne cache pas ses reproches. Cependant , ses professeurs le déclarent talentueux et intelligent. Marmontel lui prédit un bel avenir dès Juin 1874.Deuxième prix de piano et 3ème médaille de Solfège. Comme un bonheur ne vient pas seul,le père retrouve un emploi chez Fives-Lille et la famille vit à l’aise au 13 de la rue Clapeyron.
1875.Autres prix et médailles en Solfège et piano. Debussy joue Chopin mieux que personne comme le déclara Éric Satie.
En 1876 les résultats purement scolaire son t moins éclatant, Claude parvenu à l’adolescence éprouve quelques fatigues passagères .Cependant il est envoyé pour accompagner la soprano Léontine Mendès en concert. La Juive d’Halévy, Mignon d’Ambroise Thomas et ensuite des pièces de musique de chambre.Ensuite on lui demande d’accompagner une opérette d’Offenbach.
Et le lendemain dans la Défense Nationale ,le critique écrit : M. de Bussy [...] est un tout jeune pianiste qui possède son art à un degré fort remarquable.
À quatorze ans plus rien ne semble lui faire peur !
Il donne un autre concert à Charmy, mais ses professeurs furent plus critiques. Enfin l’année suivante il obtient une première médaille de Solfège tandis que son jeux pianistique est lourdement critiqué.
“Il semblait pris de rage contre l'instrument, le brusquant avec des gestes impulsifs, soufflant bruyamment en exécutant des traits difficiles. G.Pièrné.
En 1877 il accède à la classe d’harmonie et voici ce qu’il en pense et écrit :
L'étude de l'harmonie telle qu'on la pratique à l'école est bien la façon la plus solennellement ridicule d'assembler les sons. Elle a, de plus, le grave défaut d'unifier l'écriture à un tel point que tous les musiciens, à quelques exceptions près, harmonisent de la même manière.
Et pourtant son professeur,E. Durand qui le retenait après la classe, lui donna parfois de bonnes paroles mais peu de notes ,bien que, tous, élèves et professeurs le trouvassent ingénieux .Ingénieux mais sans prix pour l’année 77/78 !
Cependant, Marmontel le présente à Marguerite Wilson richissime écossaise et alors châtelaine de Chenonceaux pour qu’il ait une activité retable pour l’été . Grand amateur de la peinture italienne et de littérature française,la dame ,qui avait reçu Gustave Flaubert comme invité de l’année précédente, l’accueille à bras ouverts pour lui faire animer ses soirées de musique de chambre. Absolument fanatisée par la musique de Richard Wagner, elle l’invite à s’y intéresser fortement.
Ses premières compositions pointent à cet horizon et furent en partie perdues…La première trace de son écriture est une pièce sur un poème d’Alfred de Musset :Madrid.
Pour cette septième année de conservatoire il obtiendra un Premier prix peu attendu mais franc : celui de l’accompagnement de piano chez Auguste Bazille qui conclut sur cet élève décidément doué mais fantaisiste : « Grande facilité, bon lecteur, très bons doigts (pourrait travailler davantage) ; bon harmoniste, un peu fantaisiste, beaucoup d'initiative et de verve ».Tandis que chez Ernest Durand en harmonie, on ne mentionne pas son nom .
Marmontel cependant pour cet été l’envoie chez Madame Nadejda Von Meck veuve richissime ,dont les cinq garçon et six filles aiment avec leur chère maman à jouer et entendre les œuvres pour piano. Elle était déjà mécène de Tchaïkovski,[4] connaissait Anton Rubinstein et Franz Liszt. Cet été 1880, elle avait jeté son dévolu sur Interlaken et le massif de la Jungfrau ,le lac de Böningen et celui de Brienz dans l’oberland bernois.
Les enfants et madame, jouèrent à quatre mains avec le compositeur , principalement des pièces de Tchaïkovski. Ce qui, pour le jeune français de dix sept ans ,et à cette époque, n’était pas très courant…Madame von Meck fur satisfaite du jeu et de sa technique pianistique, mais sembla quelque peu frustrée par sa sensibilité mesurée et discrète. Elle aurait sans doute vibré plus à l’unisson avec un pianiste de l’école post romantique armé de pathétiques attentions !
Puis changement de décors ! Toute la famille file vers Arcachon et l’on continue sur Tchaïkovski et sa quatrième symphonie : Mon partenaire [Debussy] ne la joua pas bien, quoiqu'il l'ait merveilleusement déchiffrée. C'est son seul mérite, mais c'est une qualité fort importante. Il déchiffre une partition, même la vôtre, à livre ouvert. Il a un autre mérite, c'est d'être ravi par votre musique... »
La dame fait assaut de contradictions .Il ne la joue pas bien mais la déchiffre à livre ouvert ! Quant à Debussy il changer d’avis sur le compositeur russe et sur Brahms dont il dira que certaines partitions sont de vieilles rocailleries ennuyeuses !Nous savons tous qu’il aimera Wagner et le rejettera !Pourtant quoi de plus inspiré de Wagner dan son passage à l’acte du tunel dans Pelléas et Mélisande ?
Et nouveau déplacement vers Paris, Cannes ,Nice, Gènes, Naples et enfin Florence et la Toscane avec pour point central la Villa Oppenheim. Debussy suit et aussi compose ses premières pièces dont la Danse Bohémienne. Nadejda demande alors une réduction pour piano à quatre mains du Lac des cygnes et la fait éditer en souhaitant que le nom de Debussy ne soit pas mentionné.
Enfin l’automne annoncé les amis se séparent ,Claude Debussy ayant demandé Sonia l’une des filles von Meck en mariage. Une demande qui sera écartée avec tact.
Inscrit en classe de composition chez Ernest Guiraud et en classe d’orgues avec César Franck il commence à donner des leçons. Puis il trouve à accompagner un cours de chant où se rendent les femmes du meilleur monde.Il y rencontre une jolie rousse aux yeux verts Marie Vasnier de treize ans son aînée. Elle est mère de deux enfants.
Il tombe amoureux au point d’écrire des mélodies sur les poèmes de Lecomte de Lisle, Théophile Gauthier et Théodore de Banville[5].Il donna ces mélodies à Madame Vasnier comme preuve d’amour. Ce qui n’empêche nullement à l’été annoncé d’éveiller un désir de vacances chez notre étudiant pauvre.
Le souvenir de l’existence de l’été passé donnant des ailes à son courage ,il demande à accompagner pour ce nouvel été la famille Von Meck. Ce qui lui est accordé ! La généreuse milliardaire s’étant pris d’une véritable affection pour lui. Et notre Claude se retrouve bientôt dans les trains et wagons lits de luxe , les beaux hôtels. Enfin et toujours à Florence…Tout en étant passé par Vienne, Venise , Rome.
Rentré à Paris en décembre 1881 il fréquente assidument les Vasnier et donna des concerts.
Une première œuvre est publiée chez Bulla éditeur ami de son père pour 50 francs.Elle dédiée à Madame Moreau Sainty :Nuit d’étoiles.
Le conservatoire n’est plus dans ses préoccupations prioritaires et les voyages avec la famille Von Meck lui ont apporté une riche expérience qui nourrit abondamment son imagination. Il compose avec assurance et se fait imprimer des cartes avec une particule : A.de Bussy.
Trois essais seront nécessires pour le prix de Rome :1882 échec aux éliminatoires.1883 second prix avec Le Gladiateur.1884 Premier Prix avec L’Enfant Prodigue.
Il se rend à Rome en Janvier 1885 se fait un ami le frère d’Odillon Redon et le peintre Lombard. Il compose de petites choses pas très excitantes, encore moins novatrices :Zuleima, d’après H.Heine , Printemps, La damoiselle élue qui survit jusqu’à nos jours, sur un poème de Rossetti. Également envoyée , avec les précédentes pièces au Conservatoire, une Fantaisie pour Piano et orchestre . Le tout fort critiqué et peu apprécié par ces messieurs.
Après deux d’un séjours au cours duquel il a pu apprécier la musique de Palestrina mais fort peu le bel canto ou l’opéra de Verdi,il rentre à Paris pour mener une vie de bohème avec Gabrielle Dupont .
Passent huit années qui le mènent à 1887 et un séjour à Bayreuth. Les maîtres chanteurs ,Tristan et Isolde et Parsifal .
Il en dit peu de positif et pourtant en sera influencé à jamais !Comme par les rythmes exotiques écouté lors de l’Exposition universelle de 1889.
En 1890 sa Suite Bergamasque pour piano marque une véritable évolution dans son travail de compositeur. Un succès immédiat suivi tris ans après du Quatuor à cordes et enfin d’après le poème de Mallarmé le Prélude à l’Après midi d’un faune déclenche le véritable engouement pour une pièce foncièrement novatrice et belle sous tous ses aspects. Couleurs irisées à l’infini, forme évanescente comme l’air et pourtant quelle nervosité contrôlée et admirable en son architecture irréellement suspendue .Les orchestres de l ’Europe entière tentent de s’approprier cette partition qui leur fond sous les archets et les doigts !Seuls certains chefs français y parviennent vraiment.
Il s’élance alors à la composition de l’opéra Rodrigue et Chimène en 1894.Qui ne vera pas le jour avant 1993 sous la plume de Denisov. Une autre œuvre lyrique ne vera pas la scène du tout elle eut pour inspirateur Edgar Allan Poe…
Enfin il parvient à composer son chef d’œuvre lyrique Pelléas et Mélisande d’après le drame de Maurice Maeterlink et à le faire jouer en 1902 à l’opéra comique ou salle Favart .
Tout commença sous des auspices orageux car la critique reçut la pièce avec des commentaires peu élogieux. On ne comprit pas au premier abord le rythme ni la prosodie poétique difficile à retenir et à mémoriser et moins encore cette conversation permanente de parler chanter. De plus Maeterlink avait accordé le texte à Debussy à condition que Georgette Leblanc sa maîtresse du moment,chanterait Mélisande. Or la direction de l’opéra comique, jugea plus apte et engagea Mary Garden à sa place.
Une plantureuse élégante 1900 avec des fossettes dut céder la place à celle qui par son physique longiligne et sa grâce évanescente figura à la perfection l’oiseau blessé,la petite fille de la partition.
Octave Mirbeau empêcha le duel…Maeterlink empocha ses droits d’auteurs en appelant à l’échec tout en soudoyant des gâtes papier qui maculèrent les bémols et les dièses sur le matériel d’orchestre !Bref si l’on compte les pamphlets et les méchancetés des titres fantaisistes et injurieux distribués avant la générale !On en déduit que la jalousie de certains firent de la première une épreuve difficile que rattrapèrent haut la main les succès des représentations suivantes. L’œuvre partit à la conquête de New York et Londres peu après.
Debussy dit adieu à ce jour là aux ennuis financiers. Il s’était séparé de Gabrielle en 1899 pour épouser Rosalie Texier couturière à Bichain dans l’Yonne près de Villeneuve la Guyard. Il composa là son célèbre poème symphonique La Mer. Mais peu fidèle par nature il entend reprendre sa liberté pour vivre avec l’épouse du banquier Barnac ,Emma qui avait déjà été la maîtresse de Gabriel Fauré.Rosalie alors tente de se suicider.Et bien qu’elle ait survécu et que le divorce ait été prononcé, l’affaire fit scandale et peina nombre de ses amis qui en prirent ombrage.
Debussy épousa Emma en 1908 et Claude Emma dite Chouchou vint au monde en 1905.Il lui dédia les Chidrens Corner. Elle mourra un an après son père emportée par la diphtérie en 1919.
Debussy se livra aussi à la critique musicale sous le nom de Monsieur Croche.Il s’y montre langue de vipère et parfois injuste Il compose Jeux qui a peu de succès pour les Ballets russes.Et se rend alors qu’il est déjà très malade à Saint Petersbourg pour recevoir l’hommage de la Russie .Il reverra à cette occasion Sonia Von Meck devenue princesse Galitzine.
Il meurt des suites d’une cancer diagnostiqué en 1910,le 25 Mars 1918.Il sera enterré à Passy.
J’ai cité l’adjectif impressionnisme plus haut car il fut employé à une époque. Mais Debussy ne se qualifia jamais d’Impressionniste . Son style absolument reconnaissable entre tous le distingue de toute École et Claude de France comme il fut parfois nommé demeure un mystère .Sans doute l’homme des Préludes avec leurs titres si évocateurs que le paysage ou le “Dire“ , le personnage ,apparaissent à nos yeux et nos oreilles immédiatement comme par mimétisme ou désir de ressemblance intime et de reconnaissance.
J’aime passionnément la musique de Wagner , je sais presque dire les motifs et les raisons de cette admiration. Et j’ai parfois de la peine à saisir toute la beauté intrinsèque d’une partition de Debussy ;pourtant il me semble être née avec Pelléas et Mélisande dans mon bagage !Sans doute le mystère de ses couleurs irradiées, la courbe de ses rythmes dont je ne saisis pas toujours la course ou bien le fait que les thèmes et les mouvements semblent ne jamais aboutir …Je n’oublie pas dans mon admiration parfois inconditionnelle de sa plus grande œuvre Pelléas qu’il osa ne pas conclure et en apparence laisser les idées comme en suspens .Et pourtant j’aime tant que tout soit exposé comme dans le Clavier bien tempéré de Bach.
Et je reviens à Wagner car il me semble véritablement que Debussy n’aurait pas écrit sans l’influence de Wagner. Parsifal et Tristan en particulier l’ont marqué malgré lui ou bien conduit à écrire ce que Wagner ne pouvait écrire.
Ses compositions pour piano comme les “études“ puis les Préludes surtout démontrent une sensualité de tous le corps et l’esprit comme des sens, du goût de l’air chargé de parfums, à la vue d’une lumière sur un lac ,comme au toucher d’une pêche, au frisson d’une flûte après une averse d’été… Dans l’Après midi d’un faune, Debussy l’obtientau moyen d’une rhétorique personnelle rigoureuse, transposée en un désir d’apparente liberté voisin de tout abandon.
Et nous avons le même compositeur pour La Mer !Alors pour cette page, il est héritier de Berlioz orchestrateur raffiné et subtil…Puis ardent coloriste pris au mirage de son désir d’évasion.
Je pense que Debussy nous porte au rêve…Même si parfois nous nous perdons en un labyrinthe à son écoute.
Amalthée
En complément de cet article je recommande Les Préludes ,livre un et deux. Le disque enregistré par Philippe Bianconi qui sera à Toulouse avec ce programme parait ces jours- ci chez Dolce Vita distribué par Harmonia Mundi
dont le Parrain Achille Arosa est banquier
[1] Nuages,Sirènes, La Mer son poème symphonique le plus célèbre et quelques passages orchestraux de Pelléas et Mélisande par exemple ;
[2] Aussi connue sous le nom de Octavie de la Férronnière
[3] ainsi le rapporte Debussy plus tard
[4] auquel elle versait une rente de deux mille roubles par mois.Elle la supprimera plu tard en raison des mœurs du compositeur.
[5] Voir mon article sur ces mélodies enregistrée par Natalie Dessay au Printemps 2012