Lire pour la musique
Teresa Berganza
Et Olivier Bellamy
Un monde habité par le chant
La cantatrice espagnole vit à présent à côté de l’Escurial dans un vaste appartement. De là, elle a vue sur le même paysage que les souverains d’Espagne car ses murs sont enclos dans la demeure sévère du puissant Philippe II, celui don Schiller traça le portrait dans son Don Carlo . Le même personnage repris par Verdi.
Teresa Berganza a fêté ses 80 ans au mois de Mars 2013. Elle porte son âge avec le même caractère et de la même manière qu’elle avança dans la vie. Une grande bienveillance envers le destin qui l’a choyée et l’amour voire la tendresse des êtres et de la nature dont elle jouit avec ferveur et enthousiasme telle qu’elle fut toujours.
Elle naît à Madrid en 1933. Dès son plus jeune âge la musique l’entoure, la porte. De l’école primaire à ses classes de secondaire, de son désir de devenir religieuse à son engagement pour apprendre à jouer de tous les instruments possible ! Teresa se livrera corps et âme à ce qu’elle tient pour un bien précieux entre tous : le Chant, la musique…
Élève de Lola Rodriguez Aragon qui suivit elle même l’enseignement de la grande Elisabeth Schumann, elle eut tout en elle, tout en sa voix pour devenir en 1957 la découverte majeure de Gabriel Dussurget le Fondateur du Festival d’Aix en Provence.
Il la voulut pour Mozart. Mozart son génie le plus aimé, Mozart avec lequel le chemin d’affinités les plus heureuses parmi les points d’étapes et de moments marquants de cette carrière d’une densité et d’une tenue exemplaires.
Commencée par Cosi fan Tutte à Aix en 57 qu’elle réitéra plusieurs années en alternance avec les Noces son chemin s’envole sans qu’elle change une virgule à sa fabuleuse manière, sans qu’elle cesse d’être le chant même ! La musique chantée accomplie.
Avec un nombre croissant de pièces de Rossini[1] auquel elle redonne ses lettres de vraies Mezzo Colorature, d’autre armes lui sont offertes avec lesquelles elle joue en virtuose. Sa complicité avec le Cygne de Pesaro[2] fut exemplaire et parfaite… Elle y rencontra Carlo Maria Giulini le prince des chefs d’orchestre.
Et l’étudiante curieuse et passionnée se livra également voix et âme à Scarlatti ,Haendel et les compositeurs espagnols dont De Falla et son fameux Tricorne suivi souvent au disque de la Vie Brève et avec le ténor modèle Alfredo Krauss Les Zarzuela ces opéra comique dont l’Espagne a le secret.
Il faut aussi saluer la concertiste et sa prédilection dès son jeune âge pour Schumann et son cycle poignant l’Amour et la vie d’une femme qui lui font un début de carrière classique assez particulier pour l’époque, du moins en France peu incline à ce genre de concert. En ces années 60 et 70 une chanteuse d’origine latine qui chante avec un tel style et un engagement poétique parfait le répertoire de langue allemande est unique.
Sa jeunesse physique et vocale éblouissantes la prédisposait à courir de théâtre en théâtre démontrer ses acrobaties magistralement exposées sans crainte ! Elle pose son cœur battant près du piano et donne la confidence d’amours perdues et retrouvées, de langueur et de passion éperdue sur des brumes étirées ou des matins baignés de soleil d’automne.
Mais un autre jour, aussi surprenant que possible, elle accepte de s’inviter chez Bizet. Pour interpréter Carmen. Une face à face personnelle, qu’elle ressent comme véridique. Loin de toute romanichelle trainant des pieds nus sales sur une scène poussiéreuse.
La Carmen de madame Berganza affronte Placido Domingo en Don José et Claudio Abbado dirige l’orchestre.
Tout dans la coiffure et dans la chaussure ? Une marque de fierté intelligente. Car dans la démarche et dans le port de tête la femme de caractère trouve à affirmer une ébauche de son caractère. Une façon de relever ce défi d’une espagnole dansant avec des castagnette vue par un français…Et qui pourtant sonne vraie !
Une cascade de boucles retenues fièrement pour une silhouette drapée d’élégance simple et cambrée. Une ouvrière de Manufacture gagnant le nécessaire à l’indépendance ! Sans attache et sans obligation. Celle qui dévale les chemins vers la mer afin d’y boire le soleil et l’eau tendrement salée. Celle des nuits de danse pour elle seule ou bien pour l’élu de son cœur. Une Carmen issue de l’énigmatique monde du Voyage, cette Bohème que le commun du mortel ne parviendra jamais à saisir dans sa farouche noblesse et son impérieuse exigence de liberté.
Avons nous avec ce personnage si exposé auquel elle rendit son hiératisme brutal, une des clés de la personnalité de la cantatrice ? Peut-être. Car dans Carmen, comme dans Rosine autre belle fille, s’affirme plus que la liberté faite femme. Les héroïnes chantées par Berganza gardent quelques traits qu’elle leur donna. Raison pour laquelle elle est l’une des dernières que l’on appelle encore : La Bergnza ! Un honneur et une preuve de notre immense affection. Peut-être même de notre tendresse.
Teresa Berganza est ici à son ultime représentation théâtrale. Une sortie très réussie. Desormais elle se dévoue à la jeunesse et donne des Classes de maître. Olivier Bellamy tient la plume de confidences affirmatives. Teresa Betganza ? Une vie choisie et dédiée au travail sans bouderie et dans l’élan d’un tempérament aliiant puissance et sérénité. Une carrière engagée avec assiduité et respect de la discipline consentie
comme à l’art de cultiver ses dons afin d’atteindre le meilleur de soi.
En cela elle appartient à ceux qui savent que la réussite, l’accomplissement d’une destinée ne sont qu’à cette condition hautement placée. Que l’on se réfère à Dieu ou au Destin comme l’on voudra ! Même l’art consiste à coudre des napperons, peindre des cadres, planter des orchidées ou à confectionner du pain —elle sait en faire elle même— l’important est d’avancer. D’apprendre chaque jour un peu plus et de vivre avec son talent.
Ce que je souhaite en recommandant la lecture de ce livre va bien au delà du simple portrait. Teresa Berganza s’y révèle belle de l’âme et du corps. Intelligente et raffinée. Ne voulant pas figurer comme modèle, même à ses élèves, elle souhaite leur donner l’ouverture par laquelle passe le chemin le plus direct à leur propre devenir.
Pour le lecteur ayant peu ou prou assité à quelques uns de ses concerts et représentations les pages sont agréables, spirituelles et parfois cocasses.
La documentation est remarquablement complète et la discographie également.
Un beau livre à offrir pour les fêtes de fin d’année.
Un monde habité par le chant
Chez Buchet Chastel
Teresa Berganza avec Olivier Belamy