1Les prodiges de Jeux de cœurs et de cartes truquées.
Sous le ciel de Naples immensément bleu ! Une douce-amère leçon d’amour sous l’apparente frivolité de mots frivoleset de suaves promesses.
Cosi Fan Tutte, La Suola degli amanti ou en français : L’école des amants revenait tout feu toute flamme lancée sur la scène de Toulouse avec un vrai bonheur.
Malgré le confinement proche et les mesures sanitaires imposées la réussite fut au-delà des mots.
Voici un quasi-miracle ! Une distribution d’une éclatante jeunesse et d’un talent exceptionnel pour cette œuvre incomparable.
Car tout est parfait, ce soir à Toulouse, dans la réalisation qu’en fait Yvan Alexandre avec les décors d ‘Antoine Fontaine du dernier opéra de Mozart. [1] Tout nous dit au fil de ces deux heures largement dépassées et accomplies, que cette intrigue d’amour à l’abord drôle et finalement sarcastique voire amère est le reflet de profondes questions non seulement sur l’amour mais également sur la vie en général. Ainsi le troisième couple… Alfonso/Despina animé probablement par de vilaines pensées de jalousie… ils aspirent à l’idéal ou ont été déjà déçus alors si l’on peut renverser le bonheur des autres… !
Mozart approchant de sa fin, les rapports homme femme, amant et amante, la fidélité, ? servent sans doute à de plus graves interrogations.
Partons ! et sachez que vous pouvez voir ce spectacle sur Ou Tube.
Une malle de voyage… un jeu de “cartes auquel les hommes reviennent entre deux étreintes “une mascarade dont les tables de maquillage légèrement dans l’ombre de la scène permettent tous les travestissements jusqu’à étourdir les volontés de fidélité les plus fermement affirmées. Des tréteaux dominés par des rideaux de scène légers et peints de couleurs beiges et douces tirant sur le rouge pâle de cœurs hésitant… Et cette malle de voyage qui sert de table de jeu vers laquelle les couples formés, unis puis désunis et reformés vont jeter un regard. Un regard ? ou bien s’attabler et jouer avec un sérieux feint pour aiguiser le désir et l’attente ou sur la fin signifier l’opinion secrète ou affichée : Ainsi agissent-elles toutes ! Mais vous aussi messieurs vous avez prouvé en acceptant la mascarade proposée par Don Alfonso ce misogyne indéfectible que vous n’étiez pas fidèles !
En dessous de tréteaux une chambre basse est aménagée pour accueillir les embrassades furtives.
Le désir passe sur la scène comme le zéphyr de promesses non tenues. Les personnages semblent légers et solides à la fois.
Voici qui jette un voile sur les tentations et les résolutions. Car la première qualité de cette production est dans la fluidité de la mise en scène [2]. On va vite, on ne se pose qu’à peine et les chassés-croisés sont si bien mis au point qu’il arrive au spectateur d’être perdu et de ne pas en tenir compte pour partir sur les ailes de cette divine musique de ce chant d’un raffinement parvenu à son extrême et surnaturelle élégante beauté.
Jean Fernand Setti est le Don Afonso modèle de cette mise en scène ! Sculptural ! Tout en muscle, la cinquantaine assumée avec une élégance confortable teintée de désinvolture ! S’ il est misogyne c’est pour les avoir certainement aimé les dames ! en avoir un peu souffert, et, tout de même les aimer encore… mais en tout détachement de cœur !
Ce baryton basse au timbre grave chatoyant et plein joue sur de belles encablures d’avance dans ce rôle qu’il rend incontournable. Il en domine toutes les facettes ambiguës. Drôle et subtil à déguiser la rosserie sous un air bonhomme. Avec pour premier atout une prononciation parfaite et une émission ample et instrumentale. Le jeu de scène équilibré le met en position d’initiateur des évènements sans qu’il fasse de l’ombre. Un parfait “marionnettiste “dont on ne voit pas les ficelles mais dont on admire l’habileté tant musicale que scénique.
Anne Catherine Gillet campe avec force, puissance maîtrisée, noblesse et tendresse la vertueuse Fiordiligi. Tendue d’une bouleversante hésitation face à tous les aléas de l’instant nous la devinons prise au piège… elle ignore lequel et traduit son émotion en tentant de la surmonter arquée sur ses serments. Mais à chaque instant elle s’en désole. L’expression atteint à une magnanimité douloureuse d’une éloquence vocale, musicale et théâtrale exceptionnelle. Le timbre éclatant, irisé est solaire. Sa technique vocale est parfaite. La noblesse naturelle et fière de son jeu de scène induit la dose de sévérité qu’exige le premier abord du personnage qui peu à peu cède à l’assaut de son propre cœur.
Elle est belle à pleurer de joie.
Mathias Vidal en Ferrando confirme toutes les attentes ! Un ténor de grâce capable d’engagement, d’un style ardent, voire ombrageux qui réussit une “aura amorosa “ [3]digne des plus grands qui l’ont précédé et notre toute admiration reconnaissante. Remarquable sur le plan musical comme théâtral, il exprime toute la force de sa jeunesse et délicatesse de son âme sous l’aveu d’un amant comblé. L’émotion est palpable et nous atteint à plein. Beau timbre aux teintes dorées, montée à l’aiguë fière et triomphante que la voix développe avec une des attaques nettes d’une aisance naturelle parfaite et des pianissimi à la coda de l’air exprimés à faire fondre le sceptique et “copain “Don Alfonso ! Et nous avec !
La scène du duo avec Fiordiligi atteint une intensité de sincérité naturelle exceptionnelle.
La Despina de Sandrine Buendia gouleyante, acidulée sans excès mais justement maline ! Elle tient sa place en dévoilant d’entrée un caractère affirmé de femme à qui on n’en remontrera pas. Une voix souple, ample, pleine, équilibrée et énergique. Un vibrato harmonieux les passages de registres impeccables. Elle joue à plein son rôle de jeune panthère qui sait rentrer les griffes et se joue de la morale avec une adresse virevoltante. Une belle plante
La Dorabella de Julie Bouliane, coquine et épicurienne. Charmeuse feignant de ne jamais dépasser les bornes tout en attrapant le plaisir qui passe avec délectation.
Très joli timbre et technique vocale remarquable. Soignée, vive et équilibrée son allure en scène montre qu’elle possède parfaitement son personnage. Elle chante dans l’expression de cette belle coquette qui profite de l’instant présent sans trop faillir à la fin !
Le Guglielmo de Alexandre Duhamel emporte la sympathie ! Taille dominante et carrure étoffée, souple et sportive. La voix résonne à merveille avec des accents irrsistibles. Il chante musicalement et vocalement à la perfection. Certes comme ses camarades, mais lui peut se permettre d’en rajouter un brin de sensualité et de tendresse.
La direction d’orchestre de la signora Speranza Scapucci est enchanteresse. Énergie et souplesse. Il semble que Mozart tienne le cemballo et lui sourit pour l’approuver. Énergique et souple, intelligente et cultivée elle dirige en Wallonie depuis 2 017. Elle sait réveiller en chaque pupitre le meilleur du désir de jouer. Tout est parfaitement en place dans cet orchestre du Capitole dont on ne cesse d’admirer les immenses qualités d’ensemble et d’instrumentistes. Une dame qui inaugure le partage du podium de direction avec les messieurs à Toulouse.
La mise en scène d’Yvan Alexandre possède tous les atouts intelligence et véritablement théâtrale au sens fidèle du terme : mettre en valeur une œuvre afin qu’à travers le temps elle parvienne à concerner le spectateur contemporain. Fidèle à Mozart et Da Ponte et pourtant chargée d’une intemporalité contrôlée qui fait que l’adéquation se fait immédiatement et que tout soit clair et intelligible. Bravo et merci à tous car
Mozart est présent à chaque page et à chaque instant. Et l’on passe un moment hors du temps de peine et de difficulté du moment.
Par bonheur la représentation a été donnée sur internet le 9 octobre. Elle y est encore. [4]On ne sait pour combien de temps. Mais allez y ! Sur le site du capitole de Toulouse.
Bonne chance. Bon spectacle.
Amalthée