Philippe Biancon
Les Préludes de Claude Debussy
Le pianiste français Philippe Bianconi revient sur le devant de la scène.Dans le cadre prestigieux de Piano aux Jacobins à Toulouse le 18 Septembre, quelques jours après la sortie de son enregistrement chez Dolcevolta.
Alors que nous le connaissions pour avoir donné au répertoire pianistique du romantisme allemand l’ éclairage de clarté française soulevée d’un souffle d’ indépendance au delà des clivages “un peu scolaires“ , voici Philippe Bianconi enfourchant sa monture , nous offrant chez La Dolce Volta les Vingt quatre Préludes de Debussy .
Cela fait partie de son charme d’interprète, nous surprendre pour nous captiver, nous inviter en quelques instants à son rêve. Ne pas prendre les chemins battus et rebattus de pièces toutes plus considérables les unes que les autres qui font saliver l’auditeur…On connaît…Et donc…Peu ou pas
d’effort d’écoute !
Voici donc Philippe Bianconi accomplissant ce parcours fabuleux. En quelque sorte un projet d’écolier…Se mesurer à ces fameux Préludes de Claude Debussy, qu’il nous faut parfois écouter en concert ici et là au hasard de la programmation si ce n’est en bis.
Suite de pièces écrites à la pleine maturité du compositeur entre 1909 et 1912 qui illustrent et concrétisent la griffe et le tempérament de ce compositeur et interprète, car souvenons nous bien que Claude Debussy fut avant tout un pianiste de haut vol classé dès le conservatoire par ses professeurs comme original, intelligent etc.[1]
Ces œuvres, non pas numérotées mais titrées, sont quelque peu en miroir avec d’ autres Préludes ,ceux de Chopin .Ils révèlent par leurs traits de caractère la personnalité marquante de chacun ,dans leur siècle respectif, comme artistes ,comme interprètes.
Chopin dont l’esprit novateur pour ne pas dire révolutionnaire[2] bouscule le portrait, archétype en voie d’épuisement du “virtuose absolu“. Et Claude Debussy très tôt ne se préoccupe plus tant de l’effet produit par la musique, mais il en pénètre le sens au delà du plaisir partagé pour traduire ses sentiments , ses admirations , ses affects ou ses souvenirs, par l’emploi d’harmonie et couleurs qui répondent ,traduisent ,font naître son langage .
Et l’on pense à Wagner, que Debussy affirmait ne pas aimer… qui au dernier acte de Tristan fait dire à son héros alors en délire de mort toute proche :
Ich ohre das licht ! J’entends la lumière !
Comment ne pas y ressentir une affinité en tant qu’auditeur refusant d’opposer de façon simpliste les deux compositeurs ? Notamment les titres aux allures fantastiques, parfois déroutantes où sont évoqués l’ivresse du voyage ,la mélancolie des retours ,les rencontres inoubliables ,les souvenirs épars ou enjolivés ,les promesses tenues et celles que l’on enfouit , les baisers volés comme ceux auxquels il fallut renoncer ?
Les voiles dans le vent ,les orangers descendant en cascades les terrasses dominant la mer bleue…1909-1910.La sérénade qui se brise…Comme chaque instant de vrai bonheur dont on ne sait que bien plus tard que le bonheur était là !
Puis le discours se fait plus proche des poètes des songes amers avec : Brouillards ,Feuilles mortes et l’on reprend de la bonne humeur jusqu’à Feux d’artifices.
Pour cet interprète qui semble depuis le début de sa carrière élire ses sujets plutôt que de répondre à une commande, ce disque est aussi l’aventure d’un amoureux sage et volontaire.
Dès sa douzième année alors élève, à Nice, au Cour de Madame Delbert Février [3],il guète le moment, que va choisir cette pédagogue avisée pour le laisser toucher à cette musique saisissante et magique.
Auparavant il écoute Feux d’artifice et Jardin sous la pluie distillé par les doigts des grands élèves du cours.
Parfois il est saisi de transes…L’impatience de faire naître de telles couleurs et de tel rythmes hors des partitions si beaux mais déjà rodés du classicisme le saisit le faisant trembler. Feux d’artifice venant en tête de ses éblouissements .Il étudie un peu en cachette Ce qu’à vu le vent d’ouest…
Un peu plus d’une année s’écoule et pari tenu, il reçoit la permission de se plonger dans les Images[4], puis les Estampes et d’autres pièces dont les fameux Préludes pour lesquels nous le retrouvons.
Les années passent.
Élève de Gaby Casadessus, puis de Vitaly Margulis, à l’âge de dix sept ans, le Prix du Conservatoire de Nice en poche voisinant avec sa réussite au Bac mathélem, il est présenté par son Directeur[5] au Concours des Jeunesses musicales à Belgrade.
Il obtient le Premier prix et découvre à la fois l’univers très sérieux des pays de l’est et la gentillesse de ces gens cultivés.
La carrière se dessine il donne plusieurs concerts pour les Jeunesses musicales, également pour les salles prestigieuses au Danemark, en Italie, les pays de l’est et la France.
Il décide de ne pas suivre d’études scientifiques et de rester “dans la musique“.
Une grande chance qui nous ramène à Debussy s’offre à l’âge de 19 ans. Philippe Entremont et Michel Béroff tous deux déjà célèbres, l’invitent à jouer comme troisième compagnon de l’intégrale de Debussy organisée par Entremont .Le jeune Philippe prépare toutes les pièces… Et joue quelques morceaux ce qui lui donne un élan et une assurance de concertiste au véritable sens du terme.
Comme l’explique Francis Dubé dans son étude fouillée et pertinente sur les Préludes de Debussy[6] : l’étude des Préludes pour piano de Debussy peut favoriser le développement musical et pianistique de tout étudiant universitaire…[7]
Le lien avec ce répertoire est très fort, mais c’est en surtout en Allemagne que le jeune homme fera les plus grandes enjambées. Après Margulis qui lui avait permis d’aborder avec assurance et aisance Brahms et Prokofiev, sa rencontre au festival de Bayreuth avec Hermann Prey [8] sera déterminante comme accompagnateur dans le Lied[9].
Il se rend bientôt aux États unis et remporte le prix Robert Casadessus à Cleveland et la Médaille d’Argent du van Clyburn.
Il est lancé outre atlantique. Une amitié artistique et un public qui le rappellent avec constance et fidélité.
La France le reçoit dans les grandes salles parisiennes et les Festivals tels que Bagatelle, à la Folle journée de Nantes, au Festival de La Roque d’Anthéron.Il faudra attendre 2009 pour qu’il paraisse à Piano aux Jacobins en 2009 à l’auditorium de Saint Pierre les cuisines. Un lieu intime, favorable à la sonorité pianistique.
Le voici de retour, cette fois au Cloître des Jacobins le 18 septembre.
La discographie de P.Bianconi, plus élective que systématique montre son exigence envers lui–même et sa profonde fidélité aux compositeurs Il quelques années l’enregistrement de l’œuvre pour piano de Ravel fut une réussite absolue.
Cependant l’œuvre de Debussy ne quittant pas son pupitre, de temps à autres il joue certaines des pièces à ses programmes.
La maturité venue et les petits labels ayant désormais pignon sur rue…Ou plutôt sur la toile…Voici que Dolce Volta lui a permis de réaliser un programma personnel d’enregistrement.
Aux auditeurs et amateurs écoutant par préférence ses œuvres, aucun doute n’affleure nous tenons là une version de référence.
Par le caractère du doigté et l’expression d’un phrasé aux apparences de liberté retrouvée Philippe Bianconi retrouve le cheminement du compositeur. Ses états d’âmes et ses caprices d’inspiration si passionnant dans ce qu’ils expriment une recherche qui n’a rien de scientifique ni de théorique.
Comme Claude Debussy Philippe Bianconi se laisse pénétrer par les vents et les eaux et la terre comme l’arbre ou les rayons du soleil et de la lune animent sa “représentation “de ce qui chez Debussy est presque toujours insaisissable ; sauf à de rares et précieux moments d’inspiration soudaine…Impalpable et qui laissent un souvenir de sable fuyant entre les mains !
Et peut être faut-il retenir pour soi comme un trésor d’écoute inimitable ,Canope ,Les tierces alternées et Feux d’artifices ,pour que se révèle merveilleusement l’intensité de l’inspiration interprétative et de la technique dépassée d’un artiste ayant muri son projet et accompli sa passion raisonnable d’une œuvre et d’un compositeur.
Amalthée
Debussy
Philippe Bianconi
Préludes
Enregistrement paru chez Dolce volta
Distribution Harmonia Mundi
Durée Livre un 38’18 livre Deux 36’07
[1] Voir mon article précédent sur Claude Debussy
[2] Révolutionnaire s’emploie pour n’importe quoi de nos jours
[3] Elève de Marguerite Long
[4] Deux séries de trois pièces pour Piano composées par Debussy entre 1905 et 1908.Déjà une évocation très poétique de paysages proches de l’eau dont Et la lune descend sur un temple qui fut est très connue.
[5] A ;Peyrègne
[6] Les Préludes pour piano représentent une occasion unique de comprendre une écriture nouvelle qui a mis fin à trois siècles d’harmonie fonctionnelle.
[7] François Dubé, Université de Laval (Canada) Pianiste et musicologue Chercheur en Éducation musicale
[8] Célèbre Baryton basse allemand 1929-1998, il a chanté durant de longues années le rôle de Beckmesser dans les Maîtres Chanteurs de Nüremberg de Wagner à Bayreuth et ailleurs, notamment au Maggio Musicale Fiorentino pour le 50° anniversaire de ce Festival.
[9] Il se peut que la firme Denon ait encore quelques exemplaires de ces disques, avis aux chercheurs chevronnés.