Ballade pour un discophile
Au Bonheur des reines
Joyce di Donato
Nous avons déjà admiré la cantatrice Joyce di Donato à de nombreuses soirées, notamment le DVD de la cendrillon de Massenet pris à Londres . La voici qui joint soirées et enregistrement. Un sujet merveilleux et baroque qui la ramène à sa prime jeunesse et nous pouvons ainsi nous réjouir de sa magnifique versatilité vocale qui lui fait prendre tous les tons de sentiments exacerbés par le malheur, la joie la plus délirante et la colère ou bien encore mieux la cruauté en forme de joie sensuelle comme dans le somptueux air de Berenice d’Orlandini : Col versar, barabro…
Des vocalises en appogiature fantastiques et une rage de vaincre et torturer qui la porte au soupir extrême. (air N° 12)
Berenice d’Orlandini qui donne l’entrée de ce disque récital avec une aria trépidente magnifiquement maîtrisée jusqu’à des notes complètement envolées au-dessus de l’orchestre qui semble ne pas finir.
Nous suivons avec une Ifigenia[1] seule princesse parmi ces reines, que Racine et Gluck aimèrent particulièrement. Pour elle Joyce se coule dans les bras maternel en une poignante déploration d’une ampleur lente et solennelle.La voix d’une gaine moirée tent vers la mort comme vers le marbre veiné de mauve qui l’éternisera et que la lumière d’un soleil déclinant abandonnera au crépucule absolu.Ainsi nous découvons Giovanni Porta compositeur peu connu aujourd’hui, né à Venise, menbre de la Royal Academy of Music de Londres 1719 qui fut des plus significatifs de la période fin 17e et milieu 18e .Il mourut à Munich où il passa les dix huit dernières années de son existence.
Que serait une telle suite de pages sans Alcina ?De Haendel La sorcière en ressort toute renouvelée, tellement chaleureuse qu’il faut la pardonner…d’enchaîner son amant.Car Haendel d’une virvoltante agilité démoniaque lui donne un chant net et filant à la vitesse de la lumière, enfourchant les écarts d’une difficultés inouïe.Cependant vous ne pourrez manquer de reprendre le chemin de délices de Cleopatra .Celle de Hasse et celle de Haendel-dans Jules César-.La première toute d’acrobaties pirotechniques .La seconde avec son célèbre Piangero …Sublime incantation d’amour vengeur, qui pourtant tais ce double discours des amours bafouées :je t’aime à en mourir.Et je meurs de terreur de te savoir vivant !Lors même que je hanterais tes jours jusqu’à ton ultime étreinte avec les autres…
Nous enchaînons avec une autre reine d’Égypte, cette fois par Cesti avec un nom quasi romain Orontea Un peu plus de six minutes de splendeur vocale, de la lenteur distillée à l’émotion tenue allant jusqu’aux effets de la ferveur aimante face à l’adieu irrémédiable d’Alidoro.C’est une chose admirable que de contenir tant d’effroi et d’amour.
Viennent alors la Roxane princesse de Perse pour son Alessandro sous les traits éfilés de Haendel.Beaucoup de graves mordorés pour refuser le malheur.Puis un brillant parcours en vocalises toutes aussi déliées et variées avec une intelligence et un raffinement superbe.
Puis nous plongeons un soupçon plus avant vers les ténèbres avec Octavia, la machanceuse épouse de Néron.Un Geloso sopetto de Keiser etplus loin de Monteverdi le Disprezza Regina [2]que personne aujourd’hui ne sait donner dans sa pudeur outragée et sa dignité absolue, comme cette dame si bien armée pour le charme. Il est des silences nécessaires après tant d’interrogations sur l’abîme d’une âme noble.Irene princesse de Trébisonde par Giacomelli se présente aussi outragée par un “barbaro “ que notre reine précédente. Épouses fidèle à vos ornements vifs etrageurs qu’accompagnent les pleurs de perle et les envols diaboliques !
Berenice Reine de Palestine suit les fureur d’Orlandini avec Col versar, Babaro il sangue…Une merveille inconnue enregistrée pour la première fois ici.Et nous en terminons avec Armida et le somptueux Odoi, furor, dispetto de Joseph Haydn tout aussi à l’aise pour les coloratures des voix androgynes que dans ses incomparables symphonies .La voix est traitée comme un hautbois .Tout est voluptueux comme la cantatrice qui nous l’expose et brillantissime.
En ajout sur I tunes ?Et vous poserez la question à votre disquaire vous aurez le plaisir d’entendre l’autre Armida, celle Gluck.
Un premier disque particulièrement soigné pour la prise de son et l’accompagnement car Alan Curtis et Il complesso baroco lui donnent tantôt la réplique, tantôt tissent le voile de soie qui la met en valeur .
Elle nous rendra visite à Toulouse le 4 mars au Théâtre du Capitole et sera à Barcelone le 6.
Les cantatrices de ce niveau sont d’une telle rareté que je vous conseille vraiment de faire le déplacement pour entendre, enfin, dans le répertoire baroque qui tant se galvaude parfois, une authentique voix virtuose, charnelle et sensuelle, dénuée de manièrisme et doublée d’une actrice authentique qui respire et vit pour son art et le porte comme un trésor au long de son parcours vers l’extase.
Dommage que ce ne soit pas un DVD !Mais le cd est à votre portée chez Virgin .
Drama Queens
Joyce di Donato