Mélancolie par temps de crise.
Depuis trente, voire quarante ans le public et une partie des médias dénoncent les metteurs en scène gâcheurs d’opéras. Sous prétexte de dépoussiérages ou de mise au goût du jour on monte Rigoletto chez le dentiste, Traviata dans un bouge de Hambourg et cette fois l’atelier de tissage du second tableau Vaisseau fantôme, inscrit dans la partition elle-même par Wagner devenant une pièce d’emballage de ventilateur !
Mais quand donc cessera cette paranoïa ?
Comment peut –on supporter de telles fariboles. Pour quels motifs des hommes et des femmes se prétendent investis du droit de faire n’importe quoi avec notre argent ? Car tout de même ce sont les budgets des états qui financent et donc nos impôts.
Bayreuth n‘échappe plus aux “petits maîtres“ intellos et snobinards imbus d’idées pseudo psychologiques ou à tendance psychiatriques bâtardes mais certainement tordues !
Après Les Maîtres chanteurs dégoulinants de grossièretés plus abjectes les unes que les autres, un Lohengrin (2010) terrifiant d’imbécillités analytiques ou freudiennes, sans compter le Tannhäuser biscornu de 2011 déjà commenté ici, voici que le Vaisseau fantôme passe à la trappe.
Un temps ensoleillé ponctué de petites averses, donc à la normale saisonnière ,de courts séjours pour chaque festivalier en cette année 2012 sans Tétralogie1 au programme et une nouvelle production qui fait couler quelque peu l’encre .
Le baryton-basse russe Evgeny Nikitin, honoré de toutes les récompenses prestigieuses de l’art lyrique, a été contraint de renoncer à se produire dans le rôle principal du Hollandais comme prévu à cause d’un reportage à la télévision le montrant torse nu. Motif : un tatouage dont le chanteur est couvert de la tête au pied, comporterait le signe nazi !
Et, bien que cet excellent chanteur ait nié toute appartenance à un mouvement politique de droite ou de gauche et s’en soit clairement expliqué et justifié de toutes les façons, la direction du festival a préféré le remplacer par un remplaçant débutant de moyenne carrure.
Il est à remarquer la poltronnerie de la direction du Festival de Bayreuth qui s’est montrée incapable de prendre en compte les dénégations de l’artiste attitude regrettable pour ce Festival dont le niveau général des chanteurs ne cesse de baisser d’année en année.
Voici donc la chronique de la cuvée 2012.
Der Fliegende Holländer Le vaisseau fantôme
Après cette entrée en matière rêche et abrupte pour cette production à laquelle les talents authentiques ont été comptés il faut tout de même rendre quelques bonnes paroles à cette nouvelle production.
De l’avis général du public, les tatouages de Monsieur Nikitine étant invisibles sous le costume de scène, nous aurions pu le voir y monter et tout de même cela aurait été d’une autre dimension que celle de la neutralité bienveillante de son remplaçant qui sauve le rôle malgré l’ineptie de la mise en scène.
Ce malheureux “motif“ peinturluré sert de (petit) scandale agitant une bassine d’eau !
Car Evgeny Nikitin a véritablement manqué à la distribution de cette nouvelle production du Vaisseau à Bayreuth.
La mise en scène est à faire sortir avant la fin ! Les habitués de Bayreuth se référant, au moins à la version précédente qui fut une merveille d’intelligence et cela pour les plus anciens, sans parler de la légendaire production signée Harry Kupfer et dont on peut acheter le DVD au kiosque du Festival en sortant de la représentation d’à présent. Et pourquoi pas à la place ?
Mais voilà, nous passons à l’orchestre placé sous la baguette de Christian Thielemann. Et celui-ci nous transmet dans sa beauté étincelante et transcendante cette partition au lyrisme tragique, marqué en profondeur de prédestination flamboyante et brutale. Clarté de la pensée ,tension à la limite de l’extase des envolées lyriques, tenue des plans sonores et des pupitres absolument instrumentale .Les tempêtes ,les envolées ,les méditations et les chants de Christian Thielemann sont incomparables, irrésistibles et invitent à monter sur ce bateau qui éternellement repart sous nos yeux .
Fermer les yeux sur la mise en scène et le miracle se produit malgré tout…
Sans Christian Thielemann la représentation serait qualifiée de production de “théâtre de province”.
Hommage également au Hollandais de Samuel Youn assumant le rôle d’une voix parfaite, au timbre approprié, d’une intensité régulière sur tout l’ambitus et dont la ligne vocale souple et parfaitement conduite permet un chant techniquement impeccable. Mais s’il faut se réjouir de ce remplacement de dernière minute sur le plan vocal, la personnalisation et le caractère que peut imprimer un chanteur sur un tel rôle ne peuvent apparaître dans de telles conditions et les spectateurs des dernières représentations seront plus satisfaits. Samuel Youn aura eu le temps de personnaliser son interprétation.
Autre remarquable chanteur Franz Joseph Selig vocalement en pleine maturité, dominateur et musicalement parfait pour un Daland de caractère malgré la mise en scène réductrice qu’il subit comme tous.
Du Steuerman,le ténor originaire de Hambourg Benjamin Bruns en donne une interprétation vocale dynamique au phrasé net ,à la prosodie intelligible et très souple .Le timbre clair possède la variété de ton sur ton des nuances expressives qui laisse prévoir de belles prestations en perspective.
Belle prestation de Christa Mayer en Mary la montre rayonnante et particulièrement expressive dans ce rôle énergique, celui d’une femme ayant les pieds sur terre et s’en réjouissant malgré la fin tragique et hors du temps de ce drame prenant.
Pour moi, la prestation de Adrianne Pieczonka dans le rôle de Senta me laisse étonnée et déçue .En 2010 cette soprano lyrique d’origine canadienne nous avait subjugués et conquis en interprétant le rôle si ample et attachant de Sieglinde dans le Ring sous la direction de C.Thielemann .Ici, la ligne de chant n’a plus cette onctuosité homogène si sensuelle .Les aigus sont difficiles et poussés à la limite de paraître “criés”. La prosodie, le phrasé manquent d’élan et d’aisance et le chant est conduit par moment sans grand soin pour la musicalité. Bref elle ne me semble pas à l’aise ni très équilibrée dans ce rôle.
La mise en scène, malgré un décors du premier acte astucieux-des néons en position géométrique figurant des navires à quai-, se transforme vite en mouvements plutôt indéterminés à force de vouloir coller à la réalité contemporaine .La présence d’une prostituée en vison de pacotille dès l’arrivée du Hollandais sur le quai montre que le metteur en scène veut surtout scandaliser et mettre les “bobos“de son côté ,mais pas forcément les mélomanes.
Sur le plan des acteurs, la réussite est loin d’être acquises, ils semblent tous vouloir se défier du vouloir incertain de Jan Philipp Gloger dont le projet est loin d’être compréhensible. Par exemple Daland et le Steuerman au lieu d’être présent sur le navire marchand, de s’endormir pendant que le vaisseau du Hollandais va se glisser vers eux et les surprendre, se retrouvent dans une barque de deux mètres de long en costume trois pièces des galeries Farfouillette et se gênent chanter et interpréter comme pour prendre les distances nécessaires entre la légende et le moment contemporain.
Ensuite, on ne compte pas les idées farfelues qui vont à rebrousse chemin du texte et de l’époque.Je me demande les motifs de ce second acte : le portrait du Hollandais qui est dans la partition de Wagner et dans la légende devient une barbouillage rouge sur carton…L’atelier des fileuse dont le déroulement des fils scandent la musique de Wagner est remplacé par un atelier de stockage de ventilateurs.
Pourquoi ? Rien dans ce galimatias n’aide au développement compréhensible du drame, les chanteurs sont amenés à dire des paroles contredites par la mise en scène…C’est une pantalonnade !
Dommage que Christian Thielemann dont j’admire inconditionnellement le talent, cautionne une telle mise en scène.
Tristan und Isolde
Une mise en scène de 2006 qui a fait couler beaucoup d’encre. Triste à mourir et sans couleur, mais le bateau est là ! Celui des congés payés de l’IG farben ou de la coopérative agricole d’une campagne de l’Est, aux beaux jours dominés par le joug soviétique de l’avant 89.
Oui ! Mais Irène Theorin chante Isolde et Robert Dean Smith Tristan. Kwangchul Youn chante un Roi Marke convainquant et Jukka Rasilanien en Kurwenal est brillant et puissant ,souffle contrôlé et expression nuancée tant vocalement que par la construction d’un caractère scénique raffiné du suivant et ami de Tristan . Même compliments à Michelle Breedt en Brangäne originaire d’Afrique du Sud à la voix ample longue et large et qui développe son chant dans la somptuosité virtuose dépassée.
Ralf Lukas en Melot avec des aigus solidement ancrés et rigoureusement justes, complète une distribution au sommet qui nous donne le sentiment que nous touchons à la perfection.
Et cela suffit. La production aura fait son temps sans romantisme et sans vigueur sauvée par les chanteurs.
Elle disparaît cette année et même si le chef Peter Schneider dirige trop lentement le premier acte, il se rattrape aux second et troisième et nous avons tout de même vibré à l’écoute de cette partition la plus extrême sur le plan du langage wagnérien. Tristan et Isolde est une partition parfaite, ciselée et pourtant d’une liberté en apparence illimitée et éternelle. Une suite de thème en constant renouvellement et déflagration sur le mouvement perpétuelle du rythme cardiaque, une pulsation géante qui s’entrelace sur elle même comme les vagues de l’océan…Je répète sans doute ce que mille adeptes de Wagner peuvent se dire en sortant de la salle après le seul accord parfait de la partition. Ce seul accord parfait qui clôt la pièce et nous dit que seul la mort et l ‘amour peuvent apporter l’extase sublime.
Amalthée