Festival de piano de Lucerne Novembre 2010
Liszt, Messiaen, Ravel et Neuburger
Il est français, Jean Frédéric Neuburger et pour la première fois à Lucerne. Nous l’avons découvert avec un sentiment de fieté et de reconnaissance pour sa virtuosité et son élégance.
Il compose aussi. Et avec talent. Tout pour retenir le souvenir d’un moment éclair !
Professeur à 23 ans (2009), au C.N.S.M de Paris,il a déjà rendu visite et enchanté des Salles de prestige comme celle du King’s palace de Londres et remporté le Young Concert Artists Auditions en 2006.
Son entrée sur l‘estrade très sobre de la Lukaskirche nous a tous conquis... Par son allure légère et rapide, sa démarche d’une souplesse féline il fait penser à un bel adolescent tranquille.Nullement sujet au trac ! Pourtant ,la flamme la plus intense et la vitalité la mieux mesurée anime cet artiste en constant rapport avec son public.Il établit avec son instrument une relation toute amicale et ce, sans l’ombre d’une négligence. Tous ses gestes sont familiers et donnent à rêver.
Jean Frédéric Neuburger joue... Son jeu porte l’empreinte d’une pensée et d’un cœur magnifiques. Et le monde lui appartient pour le temps sans limite qu’il se plaît à inventer...Tant il en prend possession avec naturel et une extraordinaire faculté de changement de l’ensemble des forces en présence.
Tant des œuvres et de l’auditoire pour se les approprier et composer un Ballet d’images et de sonorités surgies du néant et réveillées par le grand enfant raisonnable et pourtant passionné qu’il semble être au delà de toutes ses connaissances insignes. Ce concert d’une heure un quart nous l’a présenté ouvrant la voie et traçant son chemin parmi les styles les plus élevés. Et pourtant il nous laissa l’impression d’une chevauchée passant par monts et par vaux au gré de la plus aimable fantaisie.
Tout d’abord Liszt et deux Légendes, celles de Saint François d’Assise et Saint François de Paule marchant sur les flots . Toutes deux écrites à la fin de la vie du compositeur 1883, elles sont inspirées par de belles et saintes pensées et cependant, Liszt demeure visionnaire et superbe et sa musique porte à l’éblouissement.
Et nous devons à la jeunesse de J.F.N et à sa qualité de compositeur de nous présenter ces œuvres dans leur aspect sans cesse renouvelé. La beauté absolue des sonorités et l’élan irrépressible du discours pianistique vont bien au delà des phénomènes figuratifs de la nature,et des actes tracés dans leur figuration scintillante. Les sons saisissants et si bien construits bouleversent l’auditeur.J.F.Neuburger tantôt serrant de près le clavier, puis relâchant son emprise, tantôt l’embrasant d’un geste maîtrisé dans l’amplitude et la puissance , lit ces partitions comme à la découverte !
Il dévoile et devine et tout est parfaitement naturel et justement placé. Dans ce jeu qui atteint une intensité pénétrante et gravissime,rien ne s’enfonce ou perd déséquilibre. On avance avec lui , Liszt purement romantique et non romanesque ou ampoulé. Le talent est là,dans cette différence du “tape à l’œil“ dont certains pianistes ont affublé ce compositeur à cette lecture de pure sobriété et de puissante inspiration. Même impression à l’écoute de la partition : le Merle de Roche d’Olivier Messiaen . Extrait du Catalogue des Oiseaux le traitement de ce texte sautillant,enjôleur et détaché est remarquable d’illusion sonore. Ici encore la recherche de la couleur et du mouvement en parallèle sont proprement enthousiasment.
Vint alors,ce qui fait peur au public en général ! L’œuvre contemporaine. Une pièce du jeune pianiste lui-même. Car l’on est peu aventureux lorsque l’on se rend au concert...et le préjugé est parfois plus fort que la curiosité. Par bonheur cette composition qui vit le jour au cours d’une concert au Méjean d’Arles et jouée ici par son auteur, est tout à fait remarquable.
Certes, elle semble fortement inspirée de Messiaen. Et justement elle s’affiche assez lyrique,originale et très cadencée et parle à notre sensibilité. Les pièces composées portent le titre de trois poèmes extraits des Chants de Maldoror de Lautréamont . Or s’il nous reste quelques souvenirs de notre jeunesse étudiante, nous savons que ces poèmes véhiculent dans le secret d’un vocabulaire parfois hermétique et miroitant qui accompagnent la révolte adolescente, les rêves et l’imaginaire d’un poète au delà de toute réalité ou réalisme de manière presque forcenée et quasiment dénuée d’espérance . Isidore Ducasse dont le père était employé de Consulat mourut à 24 ans.
Ainsi sur : Comme des visions désordonnées, Lent et fatal, Fantasque et Ardent, nous somme partis pour “des courses lointaines“ Des gouttes d’eau passent...Une cloche à deux temps vient alterner. Des pizzicatis se rangent avec elle. Effet de balancement,puis échanges hésitant entre trait graves et traits aigus au clavier. Effet de gouttes à nouveau plus distinctes et remplissage vigoureux de l’espace par des
glissendis. Vols d’oiseaux et alternance d’accords plaqués et l’on recommence à foison... Promenade sur le clavier... Puissants pizzicatis. Effet de marche . Effet de Jazz et chahut un peu brutal.
Bravo pour la composition et son interprétation,très vivante et ascendante.Et sans aucun doute le jeune compositeur est frappé par le destin et les œuvres du poète.On ne regrette pas les 17 minutes qui passent comme le vol d’un oiseau blessé qui finit par s’effondrer et couler dans l’océan . J.F.N en fin de programme,débordant de vitalité ,nous administra la grinçante et âpre Valse de Ravel dans un tourbillon virtuose absolument fantastique.
Un concert de découverte et que le public applaudit avec affection et enthousiasme.
Amalthée