Oksana Lyniv. Une Dame au podium à Bayreuth
Pour la première fois depuis 1876 et après 92 Messieurs/ chefs, une Dame prend la baguette face à l'orchestre de Bayreuth. En montant ainsi au podium du plus célèbre des festivals d’opéras du monde elle ouvre une ère nouvelle.
À son programme, un flambant Hollandais, descendu du fantastique Vaisseau dont la distribution a comblé toutes les attentes. Oksana Lyniv face à la phalange réunie chaque année à neuf, montre qu’elle a parfaitement et victorieusement investi sans l’ombre d’une hésitation, le “temple “et la célèbre colline. Faisant montre de son savoir et de son talent tous deux remarquables, elle permet de renouveler la coutume grâce à la volonté notamment de Katarina Wagner [1]qui l’a appelée à ce poste.
Une direction aux tempi réglés sur le feu de l’action à la perfection qui frappe l’air et enthousiasme. Le souffle, la puissance naturelle et la maîtrise de sa conception sont d’une femme de caractère dynamique et équilibrée. Son Ouverture dosée versatile, illustre à la perfection l’orage apoplectique, terrifiant soulevant ciel et vagues déferlantes d’un océan en furie tout en privilégiant les qualités instrumentales et de timbres des solistes instrumentistes qu’elle parvient à ramener au calme en fin de course sans casser les virulents effets exigés. La suite de la représentation est du même style ! Maîtrise absolue des écarts de volumes et plans sonores, accompagnement des chanteurs suggestifs. Un souffle et une atmosphère lyrique complètement envoûtants et captivants.
Le rôle du Hollandais est remarquablement chanté et investi sur le plan théâtral par John Lundgren. Il approche l’œuvre avec une dimension tout à fait intemporelle. Ce Hollandais ne semble pas avoir souffert de ses précédents voyages, ni de son errance jusqu’à ce qu’il trouve une femme qui se sacrifie par amour pour lui. Il ressemble à un Businessman débarquant pour faire une bonne affaire de Gros sous. Le timbre dense et fortement coloré, la technique vocale impeccable, il joue ce rôle en dominant son sujet, mais ne semble nullement souffrir de la situation d’errance qui devrait être l’apanage du rôle. Il n’y a pas l’ombre d’une émotion chez ce Hollandais. Il raconte cette affaire comme s’il n’était pas concerné. Un joueur d’Échecs.
La Senta de Asmik Grigorian nous a permis d’entendre une superbe voix aux aigus flamboyants qu’une technique vocale sans défaut anime. Un legato de rêve et un timbre doré sont mis en valeur par une prononciation et un sens du drame magistralement étudiés. La mise en scène ne semble pas la gêner. Elle est à l’aise en gamine trop vite grandie dans l’ombre d’un père cupide et passe au-delà de tout pour son caprice.
Dans cette mise en scène insensée, Georges Zeppenfeld en Daland maintient son rôle de père cupide et intéressé par la fortune du Hollandais. Il est le Daland que Wagner a créé ! Au pinacle de sa carrière, fidèle au texte et à ce qu’il porte. La voix de basse joue sur les registres médium et supérieur avec une aisance et un style parfaits. Le phrasé et le port de voix comme le timbre sont reconnaissables et tout en lui semble couler de source avec un naturel confondant de beauté vocale et d’expression dramatique incomparables.
Mêmes qualités de détachement de la mise en scène du ténor Éric Culer qui se montre un Éric [2]tout à fait en place dans ce rôle de fiancé délaissé et ulcéré auquel il apporte franchise et brusquerie légitimes. La quinte vocale supérieure large et régulièrement nuancée passe en survol l’orchestre comme une fusée programmée de main de maître. L’expression dramatique et instrumentale subtile, le médium fruité, les passages de registres insoupçonnables, la tessiture d’une assise parfaite et d’une justesse naturelle éclatante. Quel timbre ! Suave, clair. L’équilibre et la densité du souffle lui permettent toutes les nuances de ce rôle extrêmement versatile et humainement vibrant, très important face à l’ensemble des autres personnages comme contre poids à l’obscurité de l’âme et du destin du Hollandais. Il construit son interprétation surtout sur le plan vocal et musical et cela malgré la mise en scène.
Une bien talentueuse Mary avec Marina Prudenskaya une mezzo ample, atteignant des aigus denses, bien timbrés. Cantatrice de caractère elle mêle une expression dramatique trempée et subtile à une élocution équilibrée et juste.
Remarquable Steuermann (Timonier)avec Atilio Glaser. Voix très sonnante, d’une jeunesse éclatante et qui promet un bel avenir dans des rôles plus étoffés. Voix souple et percutante , il aime chanter. Ce qui s’entend pour notre plus grand bonheur.
Quant à la mise en scène de Tcherniakov !!! Rien de nouveau sous le soleil ![3] . Il ses adeptes ! tant mieux pour lui. Je n’en suis pas.
Le premier véritable succès de Richard Wagner recevait une mise en scène dont les décors sortent de chez IKEA ou Leroy Merlin. Pas de port , à la place un Bistrot ! Pas de fileuse à la place une chorale. Du gris partout sur les murs dehors et dedans. Platitude et monotonie. Une seule bonne idée La véranda de chez Daland ! [4]
À son habitude ce Monsieur “à la mode“ se moque de la trame, voire même du texte original[5] comme de l’issue du drame qu’il traite sur le ton “psychologique“ parfois “Psychiatrique“. Se livrant ainsi , non pas à une relecture mais à un remaniement complet de l’œuvre en prétendant que l’auteur écrivant son texte n’a pas voulu dire ce qu’il a dit, mais tout autre chose que LUI Tcherniakov sait !
Ainsi dans sa mise en scène de Carmen au Festival d’ Aix en Provence [6] : Don José ne tue pas Carmen et se marie avec Micaela .
Ici , à Bayreuth ,Nous n’avons pas vu le Vaisseau pas plus qu’un bateau, pas vu le portrait du Hollandais entre les mains de Senta , alors qu’il s’agit de chanter la Ballade…etc. Et à la fin le Hollandais met le feu au port qui l’a accueilli et on le tue à coups de carabine ! ? Senta ne meurt pas etc.
Qu’ importe Tcherniakov ! La musique et le chant sont magnifiques.
Rependre le chemin de Bayreuth cette année après la Crise de 2020 fut une véritable joie ! Cette joie était sur tous les visages, sur ceux des personnels qui ont œuvré –mille fois merci- pour que le Festival 2021 se déroule, ceux des artistes, ceux des spectateurs.
Nous avons applaudi à tout rompre et nous avons eu les larmes aux yeux d’être là , d’être avec ces artistes qui furent à l’épreuve de la solitude pendant si longtemps.
Nous étions en nombre restreint et nous avons véritablement remercié et quels que soient les imperfections tout nous a été heureux en ces jours si éprouvants pour tous.
Faisons tous un vœux pour que cesse cette nouvelle peste qui nous atteint et que reviennent des moments à partager ensemble.
Amalthée
[1] Arrière petite fille de R.Wagner
[2] C’est bien le même prénom du personnage
[3] Réflexion attribuée à Salomon
[4] Encore que je vais rechercher dans les décors d’une mise en scène du Ring de vingt ans en arrière pour en retrouver une similaire !
[5] Parfois lorsque le livret laisse place à des récitatifs
[6] Festival édition 2017. En ce moment sur ARTE concert.