Le feuilleton de l’année Wagner (2)

Festival de Bayreuth : L’anneau du Nibelung

Les chanteurs et la musique.

 La première partie de cet article en deux épisodes, se terminait par un commentaire sur une chute  dans la direction d’orchestre au dernier tableau du Crépuscule des Dieux .Il faut reconnaître aux chanteurs comme au Chef  Kirill Petrenko la  formidable capacité d’avoir intégré leur personnage malgré toutes les incohérences que j’ai déjà dénoncées dans mon précédent volet.

 

Rendons tout d’abord un vibrant hommage à ce jeune chef formé à Vienne principalement, qui a donné à cette partition haute en climats, atmosphères,  variances , expressions contrastées à l’extrême et  formidables évolutions vers de multiples apothéoses et autres passages lyriques éperdus vers des  splendeurs qui parurent infinies à certains moments. Kirill Petrenko conduiten poète, et dirige en maître des plans sonores, des intensités démesurées et pourtant tout est clair .Dès les fameuses mesures de la naissance du monde au Prologue de l’Or du Rhin nous savons que le monde va naître que la phalange  regorge de merveilles sonores et que tout sera évident !

L’orchestre comme toujours à Bayreuth[1]nous a offert des cordes d’une  impeccable rondeur et d’un ensemble remarquable, cette flexibilité de rêve couplée à  une énergie miraculeuse. Les pupitres de cuivre furent fabuleux. Justesse, envols percutants, tension triomphale, vaillance d’un orgueil confondant et parfois surgissent des  sonorités rondes et douces qui apaisent et préparent à d'autres envols. Les Bois et l’Harmonie  semblent au paradis ! Parfois il nous a semblé n’entendre qu’un seul et même instrumentiste décollant de la fosse !

L’onde bienfaisante et inquiétante à la fois, monte et submerge la salle, emporte et embrase les auditeurs. La présence de ce chef semble s’effacer par moments  pour mieux nous faire passer  nuances et  contrastes admirablement dosés.

Beaucoup de spectateurs ont   fermé les yeux à cause de la mise en scène ! Cependant la partition dans tout son éclat, sa poésie et sa force persuasive  parvint à nous tenir présents. Je veux dire que tous-à quelques exceptions près- sont revenues  pour les quatre épisodes.

 

Pour les chanteurs KirillPetrenko se montre  présent, attentionné prêt à doser son orchestre, allant au devant des problèmes susceptibles de survenir. Ainsi dans son dernier air, au 3ème  de Siegfried, notre héros lance l’aigu qui dérape légèrement et craque, le chef redouble d’attention, monte légèrement son orchestre et c’est passé Dans les stances de Brünnhilde dont j’ai déjà parlé  la chanteuse  semble obligée –la fatigue peut être-d ‘amoindrir la tension de la voix. Ce qui a donné une certaine subtilité à ce grand morceau de bravoure. Mais sans ce chef là cela aurait été dénué de sens.

Pour l’ensemble des solistes   la technique vocale, alternance de Sprechgesang [2]et d’envolées  lyriques d’immenses portamento d’une infinité de variantes est parfaite. L’ensemble de la distribution, souvent de nouveaux chanteurs à Bayreuth a obtenu une succès mérité  par son investissement complet à une interprétation  crédible, soutenue et magistralement exécutée.

On peut affirmer que si la mise en scène en lieu et place de cette une mise à mort, avait été digne de son appellation, nous aurions tenu là un Ring du centenaire formidable.

Mais passons aux chanteurs.

Le premier de tous Alberich, l’Albe noir l’adversaire absolu de Wotan, le Nibelung qui vole l’Or du Rhin. Martin Winkler, parfait d’entrée de jeu. Une voix de bas riches en harmoniques, capable de monter les différences de tons et d’intensité de l’expression avec aisance, facilité et naturel. Il passe la rampe avec force et autorité à chaque apparition dès l’Or du Rhin où il domine les scènes principales. Avec un mélange  exactement dosé d’expression  railleuse, douloureuse  et profonde, puis de rage haineuse et fortement déterminée. Souple et flexible, la gaine vocale est solide, le legato impeccable. Passant l’orchestre avec arrogance et vigueur, il est impressionnant, donnant le frisson dans ses deux scènes de reniement et de malédiction. Moments de tragédie d’une intensité stupéfiante au cours desquels tout disparaît autour de lui ! Même la mise en scène ! Il  domine, jouit de cette domination, des écarts  dans l’expression virulente et lyrique à la fois, campant ce personnage fou d’orgueil et armé d’une volonté inflexible et d’un caractère sans faille  qui le porte vers son but sans que quiconque puisse en entraver la marche. Ce chanteur donne exactement cette impression de puissance sourde que rien n’abat.

Viennent les Filles du Rhin, Mirella Hagen, Julia Ritigliano, Okka von der Damerau.Trois jolie silhouettes, trois voix jeune, ardentes solides et flexibles, une énergie débordante et parfaitement en accord sur le plan des timbres et de la rouerie  vocales qu’elles parviennent à composer avec leur expression vocale.

Les Deux géants .Fasolt ,interprété par Günther Groissbòck, une basse aux harmonique subtiles et bien placées qui en font un chanteur de haut niveau que l’on recherchera à l’avenir .Il ne paraît , hélas, que dans l’Or du Rhin.[3] Son  timbre personnel reconnaissable dès la première phrase, expressif s’harmonise avec une  technique vocale souple et  maîtrisée disparaissant sous l’expression, le phrasé et une prononciation   d’une remarquable intensité dramatique. Un chant dosé, instrumental, juste et pertinent avec ce rôle. Je l’aurais préféré en Fafner, qui reparaît en Dragon dans Siegfried, auquel il aurait donné une dimension à la fois plus impérieuse et plus fataliste .Cette affirmation qui m’est toute personnelle n’enlève rien à l’excellente interprétation de Sorin Coliban en Fafner.Lui aussi possède la voix ample et solide d’une basse noble.Le chant est excellent et la couleur du timbre très agréable.

La Freïa de Elisabet Strid plantureuse et vocalement fraîche est vocalement en place avec de beaux aigus, une  expression de fierté et de pusillanimité jouée avec justesse. Le rôle est rendu considérablement plus difficile  par la mise en scène et l’accoutrement qui lui est imposé.

Pour les personnages principaux et les plus attendus Wolfgang Koch qui campe Wotan, alias le Wanderer (Le voyageur) [4]a donné une image et une prestation assez inégale. Abstraction de ce que lui impose la mise en scène qui frise l’insupportable, il se montre assez amorphe dans l’Or du Rhin. La voix déjà assez commune manque de personnalité et de caractère. On ne le sent pas très convaincu ni dans son opposition avec Alberich, ni dans son opposition –obligatoirement momentanée-à la famille des dieux et déesses, ni face aux géants. Bref le Dieu vindicatif et impérieux semble manquer  d’intention de caractère et les paroles chantées sur un mode paterne ressemble  à une conversation .Son  niveau  se relève dans la Walkyrie. De très belles scènes face à la Brünnhilde de Catherine Foster, puis la Frickade Claudia Mahnke  au cours desquelles il assume la complexité expressive et les tensions vocales d’ instants cruciaux  avec une puissance vocale soutenue ,un phrasé alliant force invective , subtilité et tendresse. On le sent ,transporté, immergé de tout son être ,il respire et exhale un bonheur fugitif puis la  souffrance extrême et ce mélange de colère ,d’abandon et d’ invraisemblable  résignation .Nous entrons dans sa profonde  tragédie intime, comme entrainés inéluctablement, tant le ton déchirant d’ accents d’une transcendante sincérité poigne l’auditeur .Au troisième acte l’expression demeure d’une remarquable justesse  ,le timbre  sombre par instant irradié, quoiqu’il montre quelque difficulté dans l’émission des phrases à césure. Il peine à changer de ton et de rythme et son débit est haché au lieu d’être virtuose et pyrotechnique.

Sa longue présence dans Siegfried en revanche est vocalement très réussie. Face à Alberich il est d’une efficacité et d’un mordant superbes. Face à Mime, il cumule une prestation vocale claire et sévère, bien timbrée à une expression dotée d’ironie et de dureté sans ambages. Enfin face à Erda il tient sa ligne vocale et psychologique, malgré l’insipidité de la mise en scène et la prestation assez vulgaire de la dame. Et face à Siegfried bien qu’il doive supporter de jouer ans lance et sana que Siegfried rompe cette dernière de son épée comme il est écrit dans la partition, il termine en beauté.

Wolfgang Koch aborde Wotan pour la première fois ici à Bayreuth. Il possède les capacités de ce rôle, il en a l’âge et la maturité. Je souhaite qu’il chante à nouveau ce rôle ne serait-ce qu’en concert, ou une mise en scène sensée. Il est incontestablement un des grands chanteurs pour Wagner de ces décennies à venir.

Je viens d’évoque la  Fricka de Claudia Mahnke artiste d’une qualité vocale exceptionnelle comme Soprano mezzo, à la technique parfaite, jau timbre profond, vibrant, rond et chaud comme un automne indien. D’une beauté radieuse et tendre elle assume aussi le rôle de Waltraute dans le Crépuscule des Dieux. Elle eut la chance que lui échoit de porter les deux seuls costumes de toute cette production ,à la hauteur d’une certaine cohérence et d’une élégance idoine, en particulier dans la Walkyrie un costume or et gris  intense de Princesse orientale.

Une grand chance pour le couple Siegmund et Sieglinde.Johan Botha aux aigus triomphants, flexibles et expressifs [5]et la somptueuse   Anja Kampe qui semble l’enfant de deux techniques vocales, l’allemande par ses origines (Thuringe) et son pays d’adoption l’Italie du nord (Turin).Dotée d’un ambitus sans limite et d’une puissance de souffle parfaite elle a véritablement incarné une femme passionnée, habitée d’une passion et d’un amour dévorant comme d’un indomptable courage. La jeunesse du timbre sa clarté et sa luxuriance n’ont d’égal que sa parfaite maîtrise d’un potentiel vocal et physique d’une force et d’une énergie étonnantes.

Excellent Hunding avec  Franz Josef Selig, presque trop élégant, mais parfaitement expressif de sa sourde haine et de sa rage de tuer pour le principe. La voix n’a pas bougé en vingt ans ! Tout ce qu’il chante est excellemment amené et fidèlement interprété.

Les neuf Walkyries ont réussi leur prestation. Triées sur le volet elle sont bien l’avenir du chant wagnérien.

Mirella Hagen a chanté un Waldfogel (Oiseau des bois) très virtuose et bien rythmé.

Norbert Ernst se montre correct  dans le rôle de Loge, bien que le timbre ne soit pas suffisamment caractérisé en trial et que le haut de la tessiture ne parvienne au falsetto.

La palme du meilleur acteur chanteur revient  à Buckhard Ulrich en Mime .Excellent dans l’Or du Rhin il atteint au tragi- comique d’un impact stupéfiant dans sa rencontre avec  Wanderer [6](le Voyageur).Gymnaste, pantin et chanteur. Il parvient à se plier en quatre sous une table à singer ses paroles, à pleurer en riant…depuis Graham Clark, aucun Mime n’a su créer une telle identification avec le rôle dans sa cruelle ironie perverse et sa tragédie d’homme de talent[7]constamment rabaissé, méprisé ! Buckhard Ulrich hisseson rôle comme il se doit au premier rang.

Nadine Weissmann s’avère décevante en Erda .La voix manque d’harmoniques dans les graves, le médium n’est pas suffisamment timbré, les aigus quelconques .L’expression, le phrasé sont sans recherche…Brut de décoffrage ! L’ensemble de la personne lourd sans souplesse, la tenue en scène sana grand intérêt. Franchement je connais deux ou trois cantatrices qui vocalement valent beaucoup mieux.

Beaucoup de compliments à Lance Ryan, son Siegfried est brillant, triomphateur, parfois prétentieux avec une fin digne des plus grands toute la tendresse et l’amour du monde y sont. Le chant toujours musical, même dans les instants de colère contre Mime, son deuxième acte est superbe (Siegfried) son Crépuscule bien dosé, avec une fin émouvante. Il expire avec une  expression  déroutante, infiniment désespéré…Sans avoir compris. Sur l’ensemble : un seul  aigu un peu loupé ! Qu’importent la flamme et la beauté vocale y est et surtout la maitrise d’un rôle d’une difficulté avérée avec des fortissimos d’une tension immense et tout de même une présence en scène quasi permanente à certains actes. Il le chante souvent depuis Barcelone et Florence.

Les Gunther et Gutrune, A.Marco Buhrmeister et Allison Oakes tiennent bien leur place vocalement.

La plus en vue et plus attendue la Brünnhilde de Catherine Foster dont le manque d’expérience est audible et  visible. La voix possède des aigus sains et larges, dominateurs et de belle couleur, elle est juste sans faiblesse et la prononciation comme le phrasé est à la dimension du rôle. Mais le medium manque de largeur et il est sans  réserve. Les écarts de tessiture et les passages ne sont pas en place. Le souffle pourrait être meilleur. Enfin à la fin aux fameuses Stances, comme elle ne peut pas tenir les 23/25 minutes elle entame sa partie avec une sorte de chant subtil !se réservant pour la fin de monter et de faire figure. Franchement pour Bayreuth et un Ring du centenaire et le rôle quasi principal ! Il fallait trouver mieux.

Enfin Les chœurs dirigés par  Eberhard Friedrich ont concouru de façon admirable  par leur présence, leur énergie et leur excellence à sauver ce qui pouvait l’être. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] L’orchestre est formé de solistes de nombreux orchestres européens. Ce sont souvent des premiers pupitres. Ainsi un des violonistes de L’orchestre de Paris a fêté ses vingt ans de présence avant de prendre sa retraite.

[2] Le célèbre «  chanté parlé » cher à Wagner qui requiert une exceptionnelle maîtrise du souffle.

[3] Fasolt est la première victime de la malédiction de l’Anneau prononcée par Alberich, son frère le tue pour avaloir la totalité du rapt de l’or.

[4] Dans Siegfried

[5] Voir mon article sur Pâques 2013 Parsifal à Salzbourg sur www.amalthee-ecrivain.info

[6] Siegfried Acte un

[7] N’oublions jamais que Mime à l’origine est un orfèvre capable de tisser le fil d’or du Tarnhelm. Ils apparient à la classe des maîtres artisans tout en étant capable de forger des pièces d’or d’une taille peu commune. 

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Hélène Cadouin
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