Bonheur de lire en Provence
Le voyage au long cours deVincent Gentilhomme Galant
Par Arlette Aguillon
Il y a des bonheurs complets en littérature, je viens d’en savourer un avec la lecture du cycle complet paru aux Éditions de l’Archipel signé Arlette Aguillon : Vincent Gentilhomme Galant.
Au cours de l’été dernier je vous ai commenté un des épisodes de cette série : L’Abeille et le Scarabée. Se déroulant principalement au moment de la présence de Bonaparte et des armées du Directoire en Égypte.
J’ai demandé le cycle complet pour au cours de cet d’hiver me plonger un mois complet en d’étourdissantes séances nocturnes que, le matin venu je laissais près de mon oreiller pour le retrouver le soir et m’embarquer à nouveau sans compter les heures en de magnifiques insomnies. J’ai tourné la dernière page avec un sentiment de regret, mais je venais de vivre pleinement avec des personnages prodigieux, bigarrés, rocambolesques, extravagants et parfois surhumains comme Vincent.
Nous entrons dans l’histoire et en lice avec Le naïf libertin. Sur l’antique Provence souffle le Mistral et le vent des idées nouvelles. Dans l’arrière-pays Luberon et Ventoux, non loin de Carpentras, Vaison la Romaine et Avignon, Vincent un gamin vif et éveillé aimant son père et sa mère d’une tendre affection, vit dans une pauvreté à la limite de la misère d'un village dépendant des Terres d’un marquisat provençal dont les règles et les lois comme les mœurs sont décrites et commentées avec un grand souci de vérité historique.
Nous entrons en période pré Révolutionnaire se déroulant tout à notre curiosité. L’âge des lumières se termine et Vincent parvient en fin d’adolescence ;dont à l’aube d’une existence d’homme dans un pays où tout va basculer et virer à 180°.
Engagé dans la Révolution avec les Marseillais qui vont débarquer à Paris il fuit à Londres et pour le deuxième tome : Le Dernier Carnaval 1792-1798 commence la série d’aventures qui transforment notre Vincent Lacoste, en un personnage important de la Société vénitienne au crépuscule des mille ans de la très aristocratique sérénissime République. Il en fuit alors que le célèbre Bucentaure, vaisseau de mariage des Doges avec la mer s’abîme dans les flammes et la mer. Et voici l’Égypte pour 1798 et 1799, la découverte d’un monde fabuleux, dangereux et riche où Vincent plonge au cœur d’une d’intrigue en intrigue, risque dix fois de succomber et se retrouve avec des militaires français, des égyptologues, des Égyptiens pur sang et bientôt des hommes du désert. Bientôt en pleine Afrique…
Monde fantasmagorique, mystérieux et phosphorescent d’où il tire une épingle du jeu plutôt effilé. Il se convertit à l’Islam, se marie selon les règles et mœurs de l’Égypte… Et tout s’effondre. Et nous le retrouvons pour le volume suivant et les années 1799-1800 à la tête du Bataillon des ténèbres, en pleine Afrique noire au centre des clans, des ethnies, gouvernorats, vrais et faux Royaumes arabes et non arabes forçat travaillant sous la houlette des marchands et trafiquants d’esclaves et chargé de former un Bataillon de légionnaires pour un Émir, puis s’enfuyant afin de tenter de retrouver un semblant d’existence… Mais rien ne peut aller aussi droit et il ne retrouve ni l’Égypte ni la France.
Prisonnier sauvé par un naufrage. Tout d’abord hôte d’un vaisseau de la perfide Albion lui et son compagnon Saint Genis sont en contact avec le monde surréaliste des Corsaires et Pirates. Ils aboutissent à l’île Maurice alors sous domination française. Les décrets de la Révolution auraient dû y supprimer l’esclavage, mais il aurait fallu alors un gendarme et un procureur à chaque hectare de l’île ! Or Vincent par mille avatars heureux et tortueux est héritier d’une superbe Plantation en sommeil, Domaine qui vit de la Canne à sucre… Le voilà avec ses idées nouvelles et une conception de la vie défrisante pour ces gens de la colonie de France et avec sa force d’entreprendre sur le chemin de devenir un notable de l’île… Oui mais le passé le rattrape. Dernier volume tout aussi remarquable que les quatre précédents, avec un titre magique la Rose de Porcelaine qui épouse dix années de 1800 à 1810.
Côtoyant les bas-fonds de Paris, Londres et Venise, comme la haute noblesse de l’après Révolution et du Directoire, s’enfuyant à grandes enjambées au-devant du temps jusqu’au fond de l’Afrique. Voici Vincent, le naïf libertin projeté dans la vie il ne peut qu’être au départ un homme de combat. Acharné à vivre le mieux possible, avec l’appétit des femmes et la quête d’un état, rencontrant la pureté et la folie des amitiés sincères tout comme le péril et la menace des amitiés scabreuses et tous les hasards qui forgent le caractère. Passant en quelques mois, d’un état de misère inouïe aux fastes de la fortune la plus éclatante et la plus discutable, rencontrant et croisant des personnages et des personnalités d’une grande noblesse ou d’une friponnerie sordide, recevant de l’aide favorable, protectrice et devant combattre des jalousies et des haines et amours étourdissantes ou pernicieuses. Vincent Lacoste qui changera de patronyme autant qu’il le faudra, regardant fortune et infortune d’un même front au cours d’une course effrénée, ne perd jamais tout à fait le souffle alors qu’il frôle la mort un nombre incalculable de fois !
Je ressors de ma lecture ivre de parfums et de rêves d’évasion après ce voyage en pays inconnu dans le temps et l’espace. Ai-je lu quelque mémoire d’un Casanova inconnu ? Ou suis-je à la découverte d’un opéra de Mozart glissé derrière les lambris d’un château de Bohème ? Un livret perdu sur un navire rejoignant les jeunes États Unis par Lorenzo Da Ponte, retrouvé pour servir quelques années après la mort de Wolfgang à son fantôme comme une espèce de suite à Don Giovanni revenu des Enfers !
Et je me sens à la fois follement heureuse d’avoir lu un tel fleuve, des telles pages d’une flamme littéraire étincelante, mais mélancolique d’avoir à les laisser reposer.
J’ai refermé l’ultime page de La Rose de Porcelaine. Je quitte Vincent après cinq volumes opulents écrits d’une plume égrillarde mais aussi coquine et tendre.
Arlette Aguillon d’une intelligence constructive parfois sulfureuse se montre d’une érudition sans faille, d’une subtilité et d’un art consommé à recréer les images du temps passé Elle a su également organiser un destin sublime et exemplaire, elle porte son héros glissé dans la chair de ce héros, chargeant son écriture de tout le cœur et de toute l’âme d’une mâle tournure tout en conservant cette pertinence féminine qui allège tout comme un grand chanteur allège son chant.
Voici un écrivain qui attache le lecteur à elle alors que l’on ne la connaissait pas quelques pages avant. Magique et magnifique.
Amalthée