Rêve et réalité   d’une La Folle Journée dans l’ivresse et la joie !

 Le Mariage de Figaro ou La Folle Journée conquit le public dès la première lecture-privée- en 1781 à la Comédie française. Joué à l’Odéon en public en 1784, la Cour fit la moue après que l’on ait tenté de l’empêcher  par la censure !

Mais Beaumarchais  tenait un rôle utile en  de nombreux  cas[1] et avait les moyens de faire jouer … le succès  fut  retentissant.

 

Une Comédie de mœurs dans laquelle sont repris les personnage à l “Molière“. Valet et maîtres, dames, gentilshommes, Tartuffes et gens de robe, Diafoirus et paysans.  Tous aux prises de la société de l’époque et touchés par l’esprit du temps. L’âge des Lumières contamine à volonté…  Partout dans les écrits et les caricatures sont dénoncés ouvertement privilèges archaïques d’une caste à bout de souffle , plongée dans ses contradictions , un clergé séculier désordonné et une Justice vénale. Beaumarchais procède d’une plume alerte et brillante et joue d’un talent unique où l’humour, le sarcasme et la tendresse le disputent à la subtilité et au caractère ,tout en  respectant  la règle du Théâtre classique ,lieu, temps, action  et  cinq actes . Il brosse le portrait acide et parfois cruel de ces gens qui avant tout vivent, aiment et tentent d’être heureux !

La bourgeoisie applaudit ,le peuple lettré saisit que ce théâtre est pour lui. La noblesse se sent menacée.

Mozart sujet du Saint Empire , apprécié de Joseph II [2]présente à Lorenzo Da Ponte la pièce   et en six semaines le livret est prêt. L’empereur ne s’oppose pas à l’opéra alors qu’il avait fait interdire la pièce en 1785

Da Ponte et Mozart ont savamment tenu le rythme endiablé ,fulminant de jeunesse et de désir de liberté de la Folle Journée.L’argument se faisant discret sur le plan de la critique  politique ,pour développer l’accent humain et sentimental mêlant  situations désopilantes à des scènes de tendresse sentimentales heureuses. Ainsi laissant paraître  au  mieux le second degré de son propos. En réalité le premier. Et la musique de Mozart atteint la  grâce et la légèreté  d’un  voile opalescent au travers duquel  un monde de pensées, d’évocations sensuelles, sensibles, humainement tendres joue de  la truculence et du  comique de certaines situations en accord parfait avec la profondeur et la hauteur du ressenti et des affects humains. Terriblement humains. C’est avec les Noces que l’on joue avec son propre personnage et son propre amour en se déguisant de l’une et l’autre de La comtesse à Suzanne !

Il y a dans les “Nozze di Figaro , ce qui se révèlera dans Cosi Fan Tutte, l’ambiguïté de l’Amour désir, brulé  assouvi comme “ feu de paille“ au premier embrassement-embrasement- qui caractérise les hommes ! Et  certaines femmes…plus tard . Et l’amour inaltérable , fidèle… douloureux qui s’oppose à la passion ?À la certitude. Mais il n’y a aucune certitude en amour !  Seule  l’apparence et la soudaineté, le goût d’un fruit ,d’une fleur vitre flétris. Dans cette quête d’étourdissement et de désir renouvelé . Dans la chaleur parfois torride d’un âge qui permet tant de folie Le comte et Figaro ,La Comtesse [3] et sa camériste Suzanne échangent des gestes d’une existence normale tout en essayant de retenir pour l’une et d’accéder pour l’autre à un amour sensible et sensuel, tendre et raisonnable.

On peut aimer l’opéra…tous les opéras. Mais rien ne vaut l’émotion et la tendresse avec laquelle on se rend aux Noces de Figaro surtout lorsque la production atteint la perfection de celle réalisée par le Capitole de Toulouse en ce mois d’Avril.

Le public a fait un triomphe à chaque représentation.

Tout était en accord parfait. Le chef Attilio Cremonesi précis et ample fait renaître la partition avec le sourire tout en maintenant la cadence et la tension de cette architecture sublime. Vigueur ,légèreté ,puissance et limpidité tout y est de cette course poursuite, de ce colin mailliard et de ce désir d’un bonheur parfait. Tous les pupitres de l’orchestre de Toulouse se sont surpassés et pourtant nul n’a cherché à prendre les devants au détriment des chanteurs et de l’ensemble.

La mise en scène  Marco Arturo Marelli s’avère d’une prodigieuse et subtile  intelligence. Chaque acteur chanteur renouvelle pour l’heure actuelle son personnage, demeurant fidèle à Mozart et Da Ponte  en complicité musicale et scénique de ses comparses. Les échanges tombent justes en parfaite harmonie . Le jeu les passionnent et ils embarquent la salle dans leurs facéties et leurs discours comme leurs pensées avec une aisance formidable et un aplomb irrésistible.

Les décors invitent et suggèrent à la perfection l’atmosphère et le caractère de l’action. Une immense toile qui se subdivise en panneaux et dont les éclairages délimitent les formes ,pièces, jardins etc. Les putti , les déesses, les nymphes y évoluent comme dans les fresques des Villas Palladiennes et de la Brenta sur ciel d’azur semé de cumulus .J’ai aimé à la folie ce décor  évocateur de l’amour insouciant, de la grivoiserie courtoise, de la bouffonnerie passagère légère,  de la liberté d’un théâtre à la Goldoni .D’ancêtres de la Commedia dell’ Arte qui toujours chez Mozart résonne en souvenirs d’enfance.

Mozart dont une pianiste dit si justement qu’il demeure grave avec une âme d’enfant étonné de tant d’amour à être et à vivre.

Le Comte Almaviva de Lucas Meachem (USA)  d’un caractère impérieux brouille et s’embrouille se prend de colère et de virulence d’un souffle parfaitement dosé . Il joue un peu veule et “ soupe au lait”. La voix de stentor jaillit d’une justesse, d’une plastique  étonnantes. Souple et ductile  il sait en mesurer la puissance et la force par des nuances parfaitement naturelles. L’expression , le phrasé impeccables. Il joue , en retard d’une parole de galant homme, irréfléchi et blessant avec cette Comtesse si aimante…. Et veut se faire aimer avec maladresse. Musicien accompli il exprime  habilement l’orgueil froissé  par le marivaudage des autres , outré que l’on en usa contre lui. Une  silhouette d’armoire et une démarche féline, il n’abuse  d’aucun des avantages de sa prestance Très loin des aristocrates pommadés , proche du seigneur des campagnes dont le Baron  Ochs [4]bien compris sera le successeur. Le “ha gia vinto la causa“ est sans égal aujourd’hui…martelé et subtil, franc et vainqueur !

La comtesse appartient à la féminine et élégante Nadine Koutcher dont la voix de miel et de fleurs s’élève teintée de  nostalgie désolée de la femme blessée à jamais. Le  “dove sono“ sur des larmes tenus en arrières qui ne sourdent pas et qui contrastent magnifiquement avec le regain soudain fous d’espoir de son duo avec Suzanne à l’acte suivant. Un beau timbre , la largeur et la longueur d’un ambitus ample ,cette musicienne possède la puissance et la grâce d’une beau soprano lyrique dont les qualités naturelles n’ont d’égale qu’une maitrise absolue de ses rôles.

Pimpante, musicienne dans l’âme la Suzanne d’Anett Fritsch  pétille et se campe admirablement dans la partition de cette alliée féminine de la Comtesse. Élégante et mutine à ses heures elle montre un très vif caractère vocal .

Le Figaro de Dario Solari séduit d’emblée. Sachant tenir son personnage  dans l’humour et l’ironie, évitant le burlesque de mauvais goût de certains de ses collègues, il possède les nuances vocales et l’allure du gentilhomme désargenté contraint d’occuper une place subalterne par manque d’argent. Sa composition est excellent , porte bien et son chant d’une excellente densité expressive et d’un grain de voix caractéristique qui en fait un chanteur séduisant et sympathique.

Très charmant Cherubino de Ingeborg Gillebo  voix bien conduite ,timbre aimable, technique vocale assurée et jeu subtil , androgyne et gamine, à la fois selon les facettes.

Nous avons entendue et vu Jeannette Fischer dans la si subtile Marceline. Et, elle a chanté dans la salle son air  au passage acte trois vers l’acte quatre, enfin rétabli [5].Et ce fut un triomphe personnel bien mérité pour cette chanteuse remarquable qui en tant de représentations nous adonné tant de joies et de plaisir d’écoute.

Quant à Bartholo,Dimitry Ivashchenko tout en lui est direct ,bien sonné et prononcé sans faute .La voix naturelle de basse chantante au timbre cuivré et personnel promet une belle carrière à ce jeune homme venu de Novossibirsk.

Nous avons quitté le théâtre alors que le soleil illuminait encore Toulouse. Le temps était radieux et nous avions le cœur en fête et l’âme étourdie de ces moments incomparables.

Et comme toujours lorsqu’un opéra de Mozart est réussi nous avons pensé que Les Noces de Figaro étaient son plus bel ouvrage.

Cette saison ne nous a réservé que des réussites.

Amalthée

 

 

 



[1] Horloger comme son père et musicien des filles de Louis XV. Il amasse un immense fortune dans les armes et autres marchandises. Er devient l’ami et le maitre des loisirs de Lenormand d’Étioles homme d’affaires cossu pour lui faire jouer des parades et autres farces populaires.

[2] Homme , instruit , éclairé, proche de son peuple  il fut surnommé l’empereur révolutionnaire en raison des 6000 décrets  et 10.000 lois de reforme en dix ans de règne.

[3] La Rosine du Barbier de Séville

[4] Chevalier à La rose de R.Strauss

[5] Je me souviens de la merveilleuse Jeanne Berbier qui pendant une dizaine d’année que dura la Production des Noces à Salzbourg de Karajan et Ponnelle réclama que l’on réintégra cet air très bien placé dans l’œuvre. Cela lui fut refusé. Presque tous les chefs le coupaient alors !?

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Hélène Cadouin
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