Monter la Bohème de Puccini sur le plateau d’Orange avec ses 160 mètres d’ouverture est un défi.
D’autant plus risqué avec la scénographie minimale signée Emmanuelle Favre pourtant habituée des lieux.
Peu de décors et même rien si l’on considère le troisième acte qui se déroule à la barrière d’enfer, donc un des octrois de Paris en plein hiver avec des figurants et les quatre personnages principaux, une action psychologique serrée qui se perd et parfois les voix se dispersant dans l’espace trop vaste.
Donc, vous l’avez bien compris pas de décors extérieurs sinon quelques quadrilatères de bois ou autres matières figurant des portes semées sur un désert ! Mais le café Momus (2ème acte) manque cruellement, et pour un drame lyrique réaliste ce n’est pas très futé. Aux les premiers et quatrième actes la mansarde bien équipée permet une meilleure prestation des acteurs et chanteurs en présence.
Malgré les paroles encourageantes du présentateur sur l’acoustique certains passages nous ont manqué et pourtant nul vent ne vint perturber le spectacle.
Par bonheur la mise en scène de Nadine Duffaut , intelligente et bien dosée ainsi que les costumes de l’excellente Katia Duflot ont largement contribué à créer l’écrin favorable et l’atmosphère réaliste , naturelle de ce drame populaire et intime .Ceci pour les deux actes de la mansarde du moins .
Venons en aux chanteurs car rien ne peut se faire sans eux.
La Bohème joue essentiellement avec quatre personnages clés Mimi, soprano ici Inva Mula cousette et petite femme sentimentale et pieuse qui passe dans l’existence en s’excusant, Rodolfo V.Grigolo le poète journaliste en attente de célébrité se livrant à d’ingrates piges pour survivre dans l’attente de la célébrité. Marcello L.Tézier rapin, donc peintre qui ne dédaigne de décorer café ou autre magasin afin de parer à l’essentiel de la matérielle Il a maille et amour avec Musetta, Nicola Beller Carbonne caractère solide, acide et sensuel de petite femme, plus maline et avisée que Mimi , car sachant tirer de bons bourgeois balourds toilettes et bijoux en échange de ses charmes piquants.
Dans la fosse l’Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par son titulaire Myung Whun Chung.1 Belle phalange entre toute pour le répertoire lyrique, les pupitres des cordes sont chatoyants, vifs, d’une palette variée à l’infini .Justesse absolue des bois, raffinement subtil et nerveux des cuivres comme seuls l’école française sait en avoir et l’on se réjouit de cet ensemble discipliné , talentueux sachant développer une partition avec un caractère propre .
À cela près que les options et la lenteur imposées par le chef Myung Whun Chung me dérangent .Sa propension permanente à la réflexion parfois ratiocinante sont sans objet pour cette partition et ce compositeur .Il n’aura jamais l’élan et la sensibilité à fleur d’âme car on ne peut rien inventer avec Puccini, il faut le ressentir en pensée et en geste musical, si l’on n’a approfondi et intégré cette époque(1900)dans son mental !! Il faut avoir presque le tempérament “séducteur“ “ravageur “ et méditerranéen irrésistible. Savoir à quel point la versatilité masculine fut ancrée dans notre tempérament à tous hommes et femmes.
Cette lecture plate à force d’observation rend l’œuvre insensible, miniaturisée et sans élan de fond.
Comme d’habitude une large partie du public s’est extasiée sur le ténor Vittorio Grigolo qui a de commun avec le chef de demeurer extérieur sur le plan sensible à son rôle. Bien chanté son premier air et son duo avec Mimi nous le fait entendre avec une voix en excellente santé pour un Rodolfo très fat, imbu de sa personne et à la recherche d’applaudissements.
Maïs sa fin tombe à plat .Un bien pauvre cri pour un désespoir loin du déchirement spontané d’un “joli cœur“ confronté pour la première fois à ses certitudes !
Pourtant il a encore un très long chemin avant de présenter une ligne vocale homogène, des inflexions suggérant à l’auditeur une émotion prenante, un moment de triste bonheur partagé dans le désespoir montant à l’assaut de l’amour !
Il lui faudra aussi très vite revoir sa technique de souffle afin de chanter avec la bouche un peu moins ouverte ! Enfin s’il prononce très bien l’italien (sa langue maternelle) les nuances qu’exige ce rôle seraient bienvenues s’il en prenait conscience. Voici un chanteur qui pourrait être remarquable mais son contentement de soi le gâchera.
Même remarque à Ludovic Tézier que j’ai toujours aimé, mais dont la performance en Macello ne ressemble pas à ce qu’il sait donner de lui-même en d’autres rôles. La voix passe mal l’orchestre et lui non plus ne saisit pas exactement le côté frivole et “comédien malgré soi “ de cette tragique histoire.
Mais par bonheur il y eut les deux femmes !
Inva Mula dont la musicalité et la force intérieure soutiennent un ambitus ardent et arment une ligne de chant impeccable. Alors que le phrasé ,la prosodie et l’expression du personnage d’une telle délicatesse et d’une puissance intérieure peu communes, nimbent chaque geste ,chaque expression et que Mimi nous bouleverse et nous emporte d’une émotion au bord des lèvres ,larmes retenues car nous savons ,nous que l’esprit du monde et l’humaine misère morale tue des êtres qui demeurent debout lézardés ,consumés de leur amour intraduisible .Comme Mirella Freni ou Ilena Cotrubas autrefois ,elle possède la clé du mot essentiel à la décrire :“scuzi“ -pardon,veuillez m’excuser et révéler à qui l’écoute et l’entend toute la solitude et l’incompréhension subies malgré son caractère aimant.
En opposition virtuose Nicola Beller –Carbone se joue bien du rôle de Musetta. Belle fille, appétissante portant la “toilette“ avec du chien et sachant allier l’expression d’une ambition sociale plutôt bien conduite et ses amours à la cravache. Un peu croqueuse de diamant et poète à ses heures elle fascine les hommes et cette chanteuse a parfaitement compris son rôle.
On oublie le Colline de Marco Spotti qui pourra apprendre à monter ses gammes et à s’exprimer clairement avec un orchestre, même si le chef ne se soucie pas de lui! Qu’elle platitude dans son air du manteau ! Il n’en fait strictement rien.
Lionel Peintre est excellent en Benoît et le Shaunard de Lionel Lhote me fait penser que l’on aurait pu le choisir pour Colline !
Les chœurs venus d’Avignon, de Provence, de Nantes ont été particulièrement à la fête avec une figuration et un chant tout à fait bien conduit au deuxième acte.
Un spectacle d’une très bonne homogénéité qui a séduit son public et donné de cette œuvre essentielle une excellente image. Accessible et revigorante.
Le prochain spectacle sera Turandot du même Puccini.
Une très grande machine qui collera aux lieux.
Amalthée