Ce fut le véritable rendez-vous de ce festival.

 

Sir Simon Rattle à Aix, signe des retrouvailles heureuses avec le drame lyrique Tristan und Isolde, l’œuvre si renommée de Wagner  arrive sur cette scène pour une Première.
Les amateurs du Maître allemand ont accouru, d’autant que la distribution était absolument faite pour accrocher les plus difficiles. À la baguette Sir Simon Rattle à la tête du London Symphony Orchestra, qui pour la première fois jouait l’œuvre en entier. Un Ensemble qui brille par ses qualités de discipline, sa souplesse et l’excellence de ses instrumentistes.

Simon Rattle fait preuve de son habituel génie, de sa constante et vive inspiration, pour tirer parti du maximum de talents individuels et construire avec un naturel confondant, l’interprétation du Moment. Toujours la plus sensible et la plus intelligente. Il conduit la phalange lancée sous le feu de la passion et porte les pupitres solistes à leur plus haut niveau d’excellence et de personnalité. Ainsi l’ensemble semble s’envoler et voguer tel un seul élément orchestral.

Un train un peu rapide au premier acte, pour l’amateur de l’œuvre que je suis et qui de temps à autre m’a fait regretter la “fosse de Bayreuth “ tant elle permet une meilleure osmose des différentes conceptions musicales et vocales.

Ainsi lors de l’épisode du philtre, en fin de premier acte, la profondeur manque…tout glisse ! Or tout doit s’immobiliser. Les secondes comme figées doivent brûler et glacer tout ensemble. La césure entre l’attitude distante et les rapports du couple (Tristan/Isolde) des premières heures et jours du voyage, bascule. Le moment (final) où Tristan vient saluer Isolde avant l’arrivée à quai est marqué par l’échange de la Coupe et la confrontation des regards. L’approfondissement orchestral doit être marqué comme au fer rouge. Entre Tristan et Isolde, passe cette affirmation hypersensible d’attente de l’Amour et de la Mort… elle va, au même pas, de la coupe aux lèvres. Et, sans cette géniale retenue d’un instant volé au temps, qui comme par un balancement imperceptible de la masse orchestrale, pousse l’auditeur, le saisit lui donne la mesure étourdissante, qu’il s’agit là, non pas du Poison de mort voulu par Isolde, mais d’un breuvage enchanteur induisant à l’Amour une ivresse terrible de désir et de punition. Bien qu’admirablement chanté par l’Isolde incomparable de Nina Stemme et le vaillant Stuart Skelton imposant, brillant et solide Tristan à l’ambitus et largeur vocale remarquables, cette fin de premier acte manque d’épanouissement, du crescendo et de la fatalité irrévocable attendue par l’auditeur.

Point de déception majeur, la mise en scène On craignait… Simon Stone ! Pour son manque de cohérence dans les choix dramatiques. Tristan et Isolde est marqué de la puissance de l’histoire. De la magie, du mystère et de la fatalité de l’amour et de la mort . Nous sommes emportés dans l’univers de personnages mythiques difficiles à “normaliser “. Pourquoi tenter de réduire la hauteur des personnages ?

Simon Stone nous invite dans un monde de tout-venant. Un appartement chic, puis un Bureau lambda et après les wagons du Métro.

Dès le prélude au lieu du bateau filant vers le large d’un vaste océan, nous sommes dans une sorte de cantine de luxe où les personnages font ripaille et nous « sonnent » des bruits de vaisselle en même temps que la partition se déroule dans la fosse.

Cette manie de croire qu’avec les images de “bobos “dans un loft, un PDG ( le Roi Marke) et une punkette,  la Brangaene de Jamie Barton à la place d’une croisière nous allons mieux saisir l’intemporalité du drame, a-t-elle du sens ?

Ensuite pour le deuxième acte , censé se dérouler seul à seule en un endroit intime, au cours duquel les amants devraient s’unir, ici ils se touchent à peine allant et venant dans un bureau. Et puis au troisième acte, la mort de Tristan se déroule dans le Métro parisien. Pourquoi Paris !

Tout ce galimatias pour nous dire – une fois encore- que le drame et la mystique de cette éternelle page pourraient encore se dérouler aujourd’hui. Et dans ce métro où à la fin Isolde est en robe du soir genre “Bayreuth 1960 “aux côtés de Tristan en smoking, le petit peuple des contrats à durée limitée et les sans papiers avec leur Sac en plastique pour seul bagage, montent descendent de station en station. Des images filmées en vidéo défilent à l’arrière-plan du décor avec des orages, des fuites et des arrêts de plaines et d’océan en colère ou au calme. Et des tunnels puis à nouveau des paysages etc.

Oui mais ! Et heureusement il y a la partition. Qui dès le deuxième acte agit comme un personnage à part entière et reprend le dessus. Simon Rattle redevient magicien d’une authenticité profonde. Épouse et développe cette musique souveraine, sombre et resplendissante dont la marche liquide, dense d’une franchise et d’une intensité absolues lance des fleurs et des flammes d’amour tout comme elle sermonne, annonce le danger et sublime l’extase des amants comme elle dénonce la trahison puis sonne l’étonnement en respirations haletantes et atteint la catharsis des douleurs et des anciennes plaies comme des éblouissements interdites et tant attendus. Les sommets de la béatitude du jour sont si voisins pour rejoindre les abysses de la plus divine nuit. Les vagues de l’océan soulèvent le couple qui a rompu les amarres.

Les voix du trio Nina Stemme (Isolde, Stuart Skelton (Tristan) et Franz Josef Selig (Roi Marke) s’accordent en une maturité et un éclat d’un talent accordé au texte, au caractère et à la musique de leur personnage de manière absolue.

La technique vocale reflète chaque caractère avec une subtilité et une puissance conjuguées sans égale. Phrasé et prononciation, intonation comme tension et souplesse des aigus impeccables en clarté, souplesse de l’émission, largeur du médium pour les trois, comme musicalité quasiment instrumentale des notes graves chez Marke. L’enchantement nous prend en fermant les yeux sur le Bureau, le Duo d’amour est d’une intensité d’une prégnance absolue. Quant à Tristan de Stuart Skelton il joue vocalement et physiquement sa mort d’une façon admirable. Sa puissance vocale est surprenante avec des aigus d’une aisance absolue et d’une couleur caractéristique saisissante. Il parvient à chanter sans une seule note criée un rôle qui atteint les sommets de tout le répertoire. Il retient sa souffrance et sa peine et pourtant elle nous bouleversent à la manière de la lame qui l’a atteint et nous ébranle de fond en comble. Cet homme d’une taille immense ploie et renaît à plusieurs reprises sous un faix invisible qui l’accable lui laissant juste la force de mourir, de s’évanouir ivre de douleur et d’espoir. Et pourtant il domine le flot musical de l’orchestre et sa partie est admirablement chantée et jouée de bout en bout. Depuis John Vickers, je ne pense pas avoir autant ressenti la magnificence de ce rôle.

Nina Stemme, somptueuse Isolde aux aigus planant, elle non plus ne crie jamais, claire et fraîche parvient au Lied de la mort en fin de troisième acte avec une insolence, une superbe vocale bénie comme sa vaillance physique noble, tendue toutes qualités inchangées malgré une présence en scène quasi constante. Elle est l’ Isolde idéale depuis presque trente ans.

Franz Josef Selig, Roi Marke sans égal également, associe une souveraine et noble expression et une compassion humaine sensible. La voix est magnifique, en caractère et couleurs de timbre, la technique vocale un modèle et il donne à son personnage un caractère authentique.

Le Kurvenal de Josef Wagner est chanté parfaitement juste avec un timbre de baryton clair et riche en harmoniques. Excellent sur le plan technique comme sur le plan théâtral. D’une souplesse et d’une énergie sans rempoche en scène il est dans son personnage et joue avec naturel en parfaite intelligence du texte.

La Brangaene de Jamie Barton manque de “classe“. Pour une suivante princière, elle a du caractère et assume bien sa partie théâtrale avec pourtant quelque tendance à la vulgarités. Mais la voix est solide et souple, large et puissante, bien colorée sans défaut de technique et parfaitement investie en cette femme fière, dévouée et constante sans aucune négligence.

Cela aurait pu être un Tristan et Isolde historique. Mais ne cherchons pas à connaître le verdict du futur et soyons heureux de ces instants qui nous ont comblés malgré les quelques différences de goût su les détails.

Ce fut tout de même la meilleure retransmission du festival, car hélas nous n’avons pas vu le Falstaff.

À VOIR OU REVOIR SUR ARTE CONCERT JUSQU’EN DÉCEMBRE

Amalthée

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Hélène Cadouin
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