Très peu représenté de nos jours, l’opéra gigantesque Le Prophète fut un colossal succès dès sa première représentation (18 avril 1849) à la salle Le Pelletier Baptisée pour un temps Théâtre de la Nation à Paris (Révolution de 1848 obligeait) cette belle brûlera hélas et le second Empire fera construire l’Opéra de Paris par Charles Garnier.
Tout le monde était dans la salle ! De ChopIn à Théophile Gautier, de Verdi à Delacroix. Romantique mon cher et ma chère ! Romantique à la puissance Trois. Le Prophète est une tarte à la crème ! Pire : Un gâteau “forêt noire“. Une lamelle de pâte brisée qui soutient couche après couche, mousse au chocolat, sirop, cerise confites, crème pâtissière…et Chantilly ! Et pour peu que le metteur en scène soit bien en cour il en remet une couche !Mais comme tous les opéra de Meyerbeer Le Prophète est un spectacle à ne jamais manquer.
Un parce que le sujet “religieux “ se situe au moments clés de la révolte des paysans dans certaines régions du Saint Empire contre les Seigneurs féodaux et de la levée d’intégrismes souvent débiles chez certains “malins“ cherchant à “habiller “leur instinct de rapine des vêtements de la “morale“.
Deux, en raison de la nature de la littérature européenne qui avec Les Contes d’Hoffmann, le Faust de Goethe, les pièces de Shakespeare et la littérature de Walter Scott, plus les opéras de Bellini et Donizetti et leur livret, appelle la clientèle lectrice vers des sujets quasi surnaturels et même sulfureux.
Trois La grandiloquence, la boursouflure en littérature ou partitions de musique (associées ou distinctes) ne sont point du domaine exclusif romantique de La Fantastique de Berlioz (1830)[1], non plus que des tableaux de Delacroix ou d’Hernani de Victor Hugo.
Scribe auteur à succès et Meyerbeer s’inspirèrent de Voltaire et de son : Essai sur les mœurs et l’Esprit des Nations. L’action se déroule à Dordrecht (Flandres) et à Münster en Allemagne aux alentours de 1533. Jean de Leyde-a existé- il fut le chef protestant des anabaptistes en charge de convertir les populations à une sous variante de la religion réformée. Son chef fut Jan Mathys qui dans le livret apparaît sous le nom de Mathisen joue son rôle dans l’opéra. Vient se greffer l’Amour-filial, maternel etc.)
Sur le plan historique les libertés avec l’histoire sont criardes. Scribe raconte avec des personnages historiques une histoire “à faire pleurer margot“ .Celle d’un homme Jean de Leyde alias Le Prophète sujet à des visions, qui se prend pour un nouveau “Christ”. Il est récupéré par les anabaptistes et sera couronné Roi, avant de périr dans le palais qu’il a conquis à Münster dans les flammes d’une gigantesque explosion. Cela juste au moment où l’empereur vient mettre fin a ce rêve de fou et normalise la situation.
Si l’on sait que l’opéra français comporte cinq actes obligatoires et un Ballet –pour que les membres du Jockey club puissent y admirer leur “cocotte”, nous sommes dans la serie la moins passionnante de l’art musical français : l’opéra de Meyerbeer.
Non que le compositeur n’ait pas de talent. Il en a. Et à revendre ! Mais justement, il ne l’a pas distillé. Meyerbeer c’est du génie avec de la mousse autour. De belles pages admirablement construite et des innovation superbes et incomparables à côté de passages à “ deux pour trois sous les cinq“ Exactement le type qui ne “sut se borner“ lui même et laissa aller sa plume comme l’éléphant envoie sa trompe dans la mare pour s’asperger l’arrière train.
Et bien malgré cela ce fut chouette ! Tout d’abord une fois l’argument saisi, on marche à fond. On pense à Quo Vadis et à Metro Goldwyn Meyer ! À Qui sonne le glas aussi, pour le tragique de la solution dramatique en forme de catharsis grecque aménagée sauce parisienne.
La mise en scène mélange les styles “pompier“ et naturalistes. Les scènes de foule dont e couronnement étant à la limite de l’étouffement. Mais qu’importe ! On sort de ces quatre heures avec la dose maximum de visions “psychédéliques“, et une fois de temps à autre cela détend vraiment.
La partition défendue par Claus Peter Flore possède de remarquables solis et des envols majestueux qui font courir des frissons de bonheur sur l’échine du spectateur. Les Flonflons et les pages flamboyantes sont traités avec le même respect du rythme et de l’efficacité dans le discours. L’Orchestre du Capitole est le puissant acteur de la réussite. Aucun manque. Les instrumentistes sont au pinacle de leur timbre propre, avec les moments d’élection qui séduisent. Les ensembles soignés, l’action avançant à l’orchestre comme à la scène d’une même et passionnante ardeur. Moments de flamboiement foudroyant, équilibrant de rares passages d’une irréelle suavité que les chœurs, excellents sur le plan vocal mais trop exposés en volume, ont tendance à écraser.
Côté chanteurs l’ensemble des rôles a de la tenus : Dimitry Ivashchenko, Basse, (Zacharie) Mikeldi Atxalandabaso, Ténor Jonas, ont déjà conquis de leur voix le public du Capitole. Leur prononciation française sans défaut et leur implication aux personnages les détachent de l’ensemble.
La découverte dans le rôle de Berthe- fiancée du Prophète –de la jeune soprano russe Sofia Fomina est un vrai bonheur. Un timbre de caractère, bien clair et lumineux à la fois souple et dotée d’énergie. Prononciation française dosée, très intelligible .Une technique du souffle apportant toute aisance à un chant coulant, ample naturel, instrumental et maîtrisé. Assurée et jolie en scène, belle démarche. Une découverte marquante d’un soprano de belle envergure dont le caractère s’affirmera. Elle chantera Blonde dans l’Enlèvement au Sérail à Paris.
J’ai beaucoup d’admiration pour Kate Aldrich, sa Carmen à Orange a été un grand moment pour l’amateur que je suis. De même dans la Favorite à Toulouse même[2]. Mais le rôle de Fides est trop ample aux graves pour elle. De plus elle ne maîtrise pas la noirceur et le tourment psychologique de ce rôle. Le registre d’alto manque de couleur et de profondeur.
Venons- en au rôle titre. John Osborn nous en a donné la meilleure interprétation que l’on peut avoir aujourd’hui de ce Prophète à l’écriture vocale sensationnelle pour l’époque qui voit le “ténor de grâce“ et le Bel cantiste, chanteur utilisant la voix de tête, être soudain distancé par des voix émettant le contre ut de poitrine…à la manière de Duprez qui né en 1806 reprend le rôle de Guillaume Tell de Rossini avec cette technique. Et le reste de la vocalité à l’avenant .Adolphe Nourrit en tombera malade. Le registre barytonale (medium) très sollicité, la quinte aigue élargie et plus clinquante avec moins de tendance au cri. Le Prophète avec un apogée d’air sur trois mesures qui sollicite le souffle et la couleur, va plus loin que Robert le Diable ou Raoul de Huguenot ! Cinq soli et une tension tragique presque permanente. Deux duos et un trio des ensembles.
John Osborn nous fait cela avec panache et résiste à la traction psychologique tendue du personnage, mêlant violence, passion et quasi folie à des instants de tendresse déroutante ! Il l’a également chanté à Essen en Allemagne cette année.
Il y a quinze ans, arrivant tout jeune à Toulouse, il nous régalait avec l’Élixir d’amour. Magnifique progression .Un bel artiste qui chante avec bonheur. La note très heureuse de ce spectacle, tout de même “brut de décoffrage“ côté mise en scène, réalisée par Stefani Vizioli. Une “boité de pandore“ ! Mais chacun sait que les italiens n’ont pas la veine sensible avec l’Opéra français.
Ils en font toujours trop et souvent à côté.
Ce spectacle, formidable tout de même, terminait la saison.
Amalthée
[1] Œuvre d’une plasticité sonore splendide, architecturée de façon classique. Berlioz est l’auteur d’un Traité d’orchestration que tout musicien reconnaît comme indispensable, incomparable et incontournable.
[2] Un DVD opus ARTE existe j’en ai fait le commentaire qui se trouve sur on site amalthee-ecrivain.info