Musique,opéra à Vienne en Novembre

Traviata, Tosca et Simon Boccanegra

 

Parfois nous partons en voyage sans motif particulier.

Cela dépend de l’humeur du temps ou de la nôtre, quelque fois  des deux.

Début septembre me rendant à l’évidence que je ne  repartirai pas au soleil de la Crête pour tenter de combattre le rhumatisme sournois qui me guette, je décidais de revoir Vienne.

Vienne à laquelle je suis fidèle depuis ma  tendre jeunesse et qui me reçois  avec le même visage et la même courtoisie.

 

Reprenant le chemin de  Shoenbrunn de  ses jardins et de son extraordinaire Zoo voisin de serres d’une opulence végétale  équatoriale insurpassable, j’ai passé de matinées en début d’après midi de soleil roux, presque chaud. Ce mi  automne  déclinait de soir en soir enveloppé d’une brume impalpable dès trois heures et très subitement piquante à quatre.

Je prenais le métro jusqu’à la fameuse Église Saint Charles Borromées  puis m’arrêtais boire mon thé au Café Mozart.

Dans ce Café aux charmes désuets mais incomparables  la charmante soprano Véronique Gens vint me rejoindre entre deux représentations d’Alceste .J’y avais rencontré à ses débuts vingt ans auparavant la superbe Renée Flemming et même bien avant elle Walter Berry qui demeure inoubliables par sa gentillesse.

Si j’ai tourné le dos au Prater un matin c’est que définitivement il n’y a plus grand chose à y voir en dehors de la Grande Roue sur laquelle je ne monte plus. Là, hélas le mauvais côté de Vienne se dégrade autour de machine Foraine de mauvais goût malgré la Valse de tradition qui commence à grincer.

En revanche  quel bonheur, grâce à des transports en commun d’une célérité et d’une propreté inouïes de pouvoir  atteindre l’Abbaye de Klosterneubourg et de revoir le fameux retable de Verdun.

Une semaine pour tout revoir .Une semaine pour remettre ses pas dans les pas d’autrefois. Car Vienne est la capitale la plus belle qui soit, surtout pour le mélomane.

La représentation d’opéra débute à 19 et 19 h 30 selon le cas. Le premier soir je fus plongée dans la Traviata, œuvre symbolique de Verdi  que j’aime, sans m’être avisée qu’il s’agissait de la mise en scène concoctée  par Jean-François Sivadier. Ayant déjà servi à Aix en Provence, exportée sur la télévision et vendu en DVD ! Et pour que ce  cette mauvaise chose ne tombe pas immédiatement dans l’oubli, non seulement la voici à Vienne ! Mais un film a été tourné en plus pour nous expliciter  combien ce metteur en scène avait de génie. Bref ce n’est pas la Joconde ! Mais  qu’elle se tienne bien ! Car le tabac médiatique que l’on a déclenché en l’occurrence ressemble à la couverture d’un événement.

Pour moi elle n’a qu’un seul avantage, celui, par ses décors et ses costumes comme l’esprit de  caricature que l’on fait du personnage central de Violetta de pouvoir servir tel quelle pour une Carmen de Bizet. La même clientèle interchangeable qui ne connaît ni le livret ni les origines de la composition s’y pâmera et dépensera pour cela l’argent du contribuable qui n’a pas les moyens de soutenir de telles âneries. Vous avez deviné il s’agit de la clientèle “Bobo“ !ces snobinards et autres intellos défectueux  qui pensent tout haut et ne différencie pas œuvres d’art de pièce à conviction de leur ignorance.

Donc me voici, à Vienne, prise au piège d’un spectacle que j’ai supporté cependant avec grâce car, au moins ce soir là la soprano en charge du rôle principal m’a enchantée et convaincu qu’il existait toujours des sopranos digne de ce nom faites pour cet emploi.

Peu connue encore du grand public Ermonela Jaho nous est venue d’Albanie et avait déjà montré de superbes dispositions à Orange dans Michaela. Avignon toujours à la pointe de la bonne invitation la programmait pour la Clémence de Titus en 2009.

Mais sans doute ce fut Londres et Vérone qui portèrent au plus grand succès mérité dans cette incarnation de Violetta dont il est possible de voir et entendre une scène sur le Web.

L’ambitus, la gaine de la voix, le timbre méditerranéen, charnu et perlé, l’expression naturelle  et pourtant parfaitement étudiée et maîtrisée, tout, rappelle les plus grandes qui firent de ce rôle, de ce personnage magnifique un apogée de la gloire lyrique. Dans leur humilité   ,leur folie ,leur élan de joie fugitive et leur résignation .Par  l’élan de douceur déchirée ,de  la plainte criblée de larmes et par ces aigus tantôt chantés sur le souffle puis lancés avec une énergie tragique d’une intensité à mettre bas les cœurs les plus résistants. Une élaboration de la prosodie  parfaite et surtout cette profonde conviction en elle qui transparait dans tout ce qu’elle accomplit, la présence sans partage avec le rôle.

À ses côtés Francesco Demuro  en Alfredo tient sa  place  remarquablement bien. Des aigus  triomphants, un timbre  personnel et agréable, l’expression juste et nuancée, nul tentation d’accrocher le public par un excès de style, mais de la passion et du caractère et une certaine fierté qui serait parfaitement en place dans  cadre plus cohérent avec l’œuvre de Verdi.   .Avec une autre mise en scène il n’aurait pas cette allure douteuse de mauvais garçon de banlieue…Mais tout n’est pas perdu il nous reviendra, ailleurs.

Le personnage de Germont père est tenu avec excellence par Giovanni Méoni qui dépasse et  de loin ce que nous entendons hélas souvent en la matière depuis une bonne dizaine d’années. Digne successeur des ses ainés  comme Leo Nucci et autres Renato Bruson et Panerai, le voici après un Amonasro inoubliable à Vérone dans ce rôle de gardien de la tradition et de l’honneur   auquel il rend noblesse  de cœur et  dignité de jugement .La voix d’une qualité rare, d’une ductilité idéale possède couleur personnelle, mordant et notes d’ambitus  d’une égale puissance sur la longueur totale de la tessiture. L’expression, la prosodie  découlent l’une et  l’autre en harmonie avec la pratique musicale. Le chant épouse à la perfection la composition du personnage, incarné et dosé avec une  subtilité des attaques et du souffle lui permettant  de dominer et l’orchestre et les avatars négatifs de cette mise en scène.

Les chœurs  et l’orchestre de l’opéra de Vienne sont absolument superbes, les pupitres  solistes font rêver et les cordes d’une étourdissante beauté.

La direction de Bertrand de Billy passe par moment un peu inaperçue,  l’orchestre sait, semble-t-il cette affaire par cœur .Le tissu orchestral comme les plans sonores sont quelques fois assez flous. On ne remarque pas beaucoup son soutien aux chanteurs, car il les regarde assez peu et  bien souvent  ces derniers chantent  leur partie alors que le Monsieur à la tête dans la partition.

J’avais vu et entendu ce même chef dans une Fliedermaus il y a deux ans à la, tête de ce même orchestre et je l’avais trouvé pétillant et allègre, plein d’enthousiasme.

Place aux deux autres soirées enthousiasmantes et qui valurent vraiment de les vivre.

Nous ne pleurons pas sur les méfaits des mises en scènes car dans le cas de l’une, celle de Tosca elle fait partie des murs de l’opéra de Vienne, datant de 1957[1]. Signée Margarethe Wallmann [2] elle demeure  attachante et significative d’une conception classique de l’œuvre en parfait accord avec sa pérenne présence au fronton de l’art lyrique. Pour l’autre Simon Boccanegra  Peter Stein et son décorateur Stefan Mayer ,ont conçu un cadre  sobre et efficace où s’intercalent des décors rappelant l’époque du drame (treizième siècle à Gènes) et des ouvertures vers notre époque. Les costumes en accord avec le temps sont sobres et permettent de saisir ce drame dans toute sa réalité.

Le même chef Philippe Auguin d’origine niçoise se trouvant à la tête de l’Orchestre de Vienne et des chœurs de Vienne je ne redis pas son excellence pour  saluer le talent et la   parfaite conduite de ce chef absent de nos  scènes nationales  depuis plus de vingt ans .Il  fut l’assistant de Karajan à Salzbourg et de G.Solti. Il semble depuis peur plus présent en France  surtout à Nice (enfin !) où il a dirigé  plusieurs concerts et bientôt également Simon Boccanegra .Au  cours de la Saison 2009-2010 un remarquable  et somptueux Chevalier à la Rose de Strauss à Marseille.

L’événement des représentations de Simon Boccanegra en ce mois de Novembre est la présence en rôle titre de Placido Domingo en rôle titre. Le célèbre ténor qui fit partie du fameux groupe  [3] qui défraya un peu la chronique de l’art lyrique classique change de tessiture et aborde les rôle baryton basse. En vérité Domingo a toujours été plutôt ténor héroïque de langue latine, son répertoire absolument stupéfiant n’eut  pas d’égal. Il a fait du Domingo, surtout et cela  durant toute sa carrière, et il y fut irrésistible car son engagement, sa personnalité et ses connaissances tant musicales que dramatiques furent à la mesure de tout ce qu’il entreprit avec un souffle absolument dominant. Certes Luciano Pavarotti fut incomparable dans Mozart, puis Bellini, Donizetti, Puccini et tant d’autres .Mais Domingo fut un Otello de race et un Don Carlo inoubliable. Ses incursions dans Wagner en Lohengrin et Parsifal ne m’ont pas convaincue. Pour moi malgré sa parfaite maîtrise musicale je ne peux pas adhérer à cette méthode mise au point par Domingo de vouloir absolument tout chanter. Tout et même le répertoire du voisin.

 Mais je le répète nous sommes séduits à l’avance par cet homme. Par son côté bon enfant et par sa faconde vocale souvent plus séduisante, accrocheuse qu’exacte.

Et puis 45 ans de carrière ! Cela tient du prodige.

Il me semble qu’il aborda le rôle de Baryton basse avec Rigoletto à Parme et ce fut enregistré sur ARTE.

Je  voudrais dire que sa prestation en Simon Boccanegra m’a étonnée. Il apporte au personnage une densité et une sobriété  réalistes. Le caractère est  juste et il traduit bien toute l’évolution   psychologique de cet homme à la fois torturé et  magnifique, forgé au travers d’épreuves surhumaines au cours d’une vie de corsaire parvenant au pouvoir de Doge de Gènes. Vocalement  le timbre est fatigué, musicalement Placido  Domingo n’est jamais, inexact .Ce fut un régal comme il en existe peu, car  même s’il existe d’autres barytons de caractère capables de chanter mieux ,plus jeune… plus… plus… plus … Domingo réussit là un pari incroyable et tient magnifiquement la scène.

La suite de la distribution est absolument splendide  .De l’Amalia Barbara Haveman, suave  et vive, au timbre d’or pâle à l’aigu souple et perlé au medium étoffé et scintillant à l’expression nuancée énergique il faut saluer la prestance et la parfaite implication.

Même niveau pour le Fiesco de Ain Anger tout en nuances violentes et comme arrachées d’un cœur de pierre qui soudain brusquement passe à la compassion.

Le Paolo d’Eijiro Kai vocalement et scèniquement impressionnant. Une voix de caractère et une musicalité instrumentale malgré de redoutables passages  brutaux.

Quant au remarquable ténor Ramon Vargas il domine la partition de Gabriele Adorno avec une grâce et une maîtrise absolument parfaites. Le timbre, l’expression la musicalité est exact fruit d’une maîtrise technique idéale. Il  est cet amant épris et audacieux, ce personnage italien  incontournable dans sa fierté vocale et psychologique, sa noblesse d’expression et sa prestance dramatique.

Philippe Auguin se montre ici maître d’œuvre  pénétrant, habile et sensuel .Obtenant de l’orchestre une pâte sonore brûlante, brillante, par moments presque impalpable et d’une délicatesse volatile avec des sonorités  variant à l’infini, des passages en force étourdissants et un final d’une densité et d’une déploration tragique qui arrache les larmes de tendresse pour de tel moments de séduction et de délire.

Du grand Verdi auquel  Auguin  restitue la spontanéité, la puissance,  et ici, une atmosphère de mystères à peine dévoilés.

À la fin de la soirée la ville de Vienne remit à Domingo une jolie décoration pour ses Quarante cinq ans de présence dans la ville et l’opéra.

Nous retrouvons  ce chef dans Tosca et la mise en scène de Margareth Wallmann. Tosca, chanteuse d’opéra protégée de la reine ayant pour amant Mario Cavaradossi aux idées libérales ,très mal vu et jalousé de Scarpia, baron lubrique et pourtant grenouille de bénitier. Tout le décor reprend comme autant de photographies les lieux indiqués par les librettistes.  L’histoire se situe comme la pièce de Sardou qui l’a inspirée au moment de la victoire de Marengo

Trois interprètes dont les dons et les moyens sont exigeants au plus haut degré.

Ici Emilie Maggee, en Flora Tosca .américaine, Université de l’Indiana, dotée d’une technique supérieure  maîtrisée avec intelligence et sens de l’instrument vocal, accomplit  ce rôle à la perfection .Voix au timbre clair et très lumineux, alliant des graves soyeux, dotés d’harmoniques subtiles à d’aigus solides, fiables et justes .Sa prière du troisième  acte “vissi d’arte“demeure l’apogée d’un deuxième acte de fureur et de fatalisme alternés. Une belle santé vocale et un physique en pleine santé. La dame d’une beauté émouvante se remarque également par le regard et l’attitude qui portent bien la flamme rougeoyante d’une femme en apparence légère, gracieuse  et fière, capable soudain d’une force peu commune allant se déchainant telle une tigresse .Tosca pieuse et jalouse jusqu’à l’aveuglement et capable de tuer un homme par refus et par amour. Bien joué, bien  senti, dosant de la voix et du geste ces instant de glace et de fournaise.

Un excellent ténor Aquiles Machado, originaire du Venezuela, ayant étudié à Madrid, notamment avec le grand Alfredo Kraus, ce  jeune chanteur embrasse littéralement son rôle. Les moyens vocaux sont rayonnants. Un premier air “recondita armonia“équilibré de tendresse et de vaillance, un deuxième plus parlando et  un air final d’une  nostalgie évocatrice, poignante dont il sait équilibrer les effets sans jamais chercher à racoler son public. Tous les moyens mis en œuvre par ce ténor authentique au timbre sensuel et chaud, à la prosodie et au phrasé élégants maîtrise une ligne et des passages de registres à la perfection.

Le charme opère et ce couple émeut par une sorte de complicité vocale et musicale attachante.

Falk Stuckmann nous avait déçu à Orange dans ce rôle de Scarpia, qui loin d’être facile exige un investissement total du chanteur. Ici sur la scène viennoise je n’ai pas été plus convaincue et décidément depuis qu’il a renoncé à chanter Wotan à Bayreuth après une saison, je ne parviens pas à retrouver mon enthousiasme pour ce chanteur. La voix semble toujours  fatiguée par rapport à l’âge .Ce chanteur qui étonna le public de Bayreuth par ses prestations il y a une quinzaine d’années se situe difficilement entre les répertoires. Le timbre n’est pas méditerranéen, l’émission raide et l’attitude sans recherche. La musique, le livret disent et souligne sa tension extrême et son désir de posséder Tosca .Cependant il lui faudrait apprendre la duplicité et l’hypocrisie. Et le ton, l’engagement sont trop plat pour moi.

Le même orchestre sous la baguette du même chef, Philippe Auguin marqué par ses souvenirs du chef historique Herbert von Karajan qui dirigeait  très souvent Puccini en frappant trop fort.

Certes Philippe Auguin y met la sourdine, mais décidément j’aime mieux ses Verdi et ses Strauss ou Wagner que Puccini pour lequel en dehors des grands italiens Abbado exclu, possèdent un sens inné de l’équilibre entre clarté française et pathos italien .Je me souviens en particulier d’une Turandot à Rome dirigé par Alain Lombard qui pour la critique comme pour le public atteignit justement ce sel puccinien si difficile à  obtenir.

Quatre jours d’opéra…Et un cinquième, cette fois à la Philharmonie de Vienne, dont nous parlerons la semaine prochaine.

Amalthée

 

 



[1] Herbert von Karajan au pupitre et Renata Tebaldi en Tosca

[2] Ancienne ballerine originaire de Berlin venue à Vienne en 1933

[3] Les Trois Ténors réunis sous la baguette de Zubin Mehta ils donnèrent des séries de concerts ensemble.Pavarotti et Carerras étant les deux autres compères.

 

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Hélène Cadouin
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