La Zarzuela à l’honneur à Toulouse
Dona Francisquita
La Zarzuela nait au nord de Madrid au Palais éponyme [1] au XVIIe siècle. Ce très joli bâtiment conçu par l’architecte Juan Gomez de Mora date de 1638, il est aujourd’hui réservé à la famille royale.
S’y déroulèrent les premières fêtes champêtres destinées à concurrencer l’opéra italien genre alors montant en Europe. Pedro Calderon célèbre librettiste en fut l’initiateur.
Reprenant ainsi à partir de pièces entièrement chantées (1622,1627) dont le poète Lope de Vega avait fait l’essai en collaboration de quelque musicien aujourd’hui plutôt oublié tel Juan Hidalgo (1614-1685) ou bien Juan de Navas(1647-1709).
Si la parenté avec l’opéra comique français, né vers 1840 peut s’établir en partie, le genre est typiquement ibérique et compte pas
moins de quarante mille exemplaires et plus de soixante compositeurs référencés .
Le régionalisme au bon sens du terme fut de mise et le nombre de manuscrits non encore entièrement en édition.
Sur le plan national il fallut attendre les années 1970 et un magnifique ténor tel Alfredo Kraus pour mesurer, grâce à de enregistrements devenus historiques, à quel point La Zarzuela est un genre d’une qualité souveraine.
Voici que Toulouse seule en France à pouvoir se permettre de telles envolées vers un répertoire riche dont on soupçonne à peine aujourd’hui les enchantements, programme pour la fin de cette année la fameuse Dona Francisquita d’Amadeo Vives (1871-1932) tiré de La discreta enamorada de Lope de Vega, par les deux librettistes Federico Romero et Guillermo Fernandez Shaw.
Un pas de trois siècles entre le poète et la représentation d’une comédie joyeuse et ironique et subtile sous des allures enlevées et coquines qui a conquis le public et l’a comblé par une interprétation modèle.
La troupe réunie sous la baguette du chef originaire de Barcelone Josep Caballé Domenech, dans la mise en scène d’Emilio Sagi, décors d’Ezio Frigerio, fut en tous points d’une excellence remarquable.
L’Espagne, ses moeurs traditionnelles, ses règles comme ses rites populaires et bourgeois y apparaît telle qu’elle fut et même à certains égards telle qu’elle vit aujourd’hui encore.
Couleurs et chatoiements, action qui file à la vitesse du vent et surtout cette incroyable joie de vivre qui domine tout.
Des personnages de caractère d’une trempe unique, baignés d’une atmosphère étourdissante.
Ici les facéties et les petits mensonges comme la coquetterie des femmes et la fierté candide des hommes jouent avec les pleurs et les larmes, les bouderies et les envols d’une humeur changeante comme les cœurs soumis aux désirs les plus vifs.
Deux heures jalonnées de sourires et de fausses confidences de gestes d’une comédie parfois burlesque mais qui est véritable leçon de vie avec ses roueries et ses accommodements.
D’une jolie fille qui veut absolument épouser celui qu’elle aime à une dame déjà mûre mais encore appétissante les aménagements avec le ciel vont bon train.
Saluons ces artistes presque tous nouveaux pour nous et spécialistes du style si pétillant et parfois teinté d’une gravité tempérant exubérance avec à propos.
Elisandra Melan Dona Francisquita. Une voix bien en chair, des aigus triomphants une prestance physique à la hauteur d’un chant nuancé teinté d’un rien d’esprit mutin. Joel Prieto en Fernando Soler un timbre unique et rayonnant, des aigus aux harmoniques cinglantes et un beau port de voix. L’excellent Jésus Alvarez enCadona, la digne Pilar Vàquez en Dona Francisca pour les principaux rôles. Et tout une suite de chanteurs et cantatrices pour les rôles complémentaires de cette brillante comédie lyrique. Tous sont dignes des jeux de rôles les plus complexes, les plus variés, élaborés au mieux et se répondant à la perfection dans leurs affects et leur réaction. Tous sont fidèles au genre, absolument engagés dans cette peinture de mœurs rutilante et poivrée.
La marche de cette histoire a beau ressembler à un vaudeville et porter à rire ;une grande sensibilité et un goût de fière élégance préside à la réalisation en tous points d’une impeccable discipline tant vocale que musicale.
Toulouse termine l’année sur un sourire de poésie et de chaleureuse amitié musicale et poétique. Un très heureux cadeau pour ses spectateurs fidèles qu’ils ont applaudi à tout rompre.
Amalthée
Prochain spectacle Tristan et Isolde de Richard Wagner
[1] Palais des ronces, sans doute en raison des ronces présentes à l’époque sur ce terroir puis ses nombreuses plantations de rosiers de jardin dans le Palais.