Nouvelles incandescences…
Tristan et Isolde de Wagner appelle en nous, une intense attente peut-être insensée mais enivrante. Néophytes s’apprêtant à sauter le pas se retrouvent au même rang que le passionné à son énième “Tristan”. Car voici la partition, la plus novatrice de Wagner dans son raffinement, sa subtilité, sa force créatrice et son originalité. L’accomplissement de la “musique de l’avenir“, l’œuvre est intemporelle, comme l’Odyssée d’Homère ou le Don Quichotte de Cervantès, le théâtre de Shakespeare !
Il y a un avant Tristan et Isolde et un après.
Cet pièce demeure pour moi le flamboyant passage au paradis immanent. À La seule heure de l’horloge interne des amants celle du premier regard de l’un à l’autre embrasé.
Au Capitole voici à nouveau une réussite complète. Tristan et Isolde surgissent dans la sublime grandeur sans périphrase visuelle. L’idée générale de Nicolas Joel, laisser parler le poète musicien, a tenu l’action de bout en bout avec des chanteurs d’une qualité exceptionnelle.
Le superbe Tristan campé par Robert Dean Smith un ténor qui, depuis ses premiers Maîtres Chanteurs à Bayreuth au temps bénis de Wolfgang Wagner, approfondit ses rôles et les murit avec une fidélité doublée d’une réflexion personnelle remarquables. La voix au timbre clair et chaleureux d’une vaillance maîtrisée, est d’une beauté sans défaut, elle passe l’orchestre avec l’aisance que donne un aigu impeccablement juste, monté sur le souffle puissant et souplement tenu. Le phrasé, la prosodie sont dotés de l’intensité poétique qu’exige ce discours poétique si original dont il porte l’éloquence avec une transcendante sincérité. Une prestation soignée, signifiante accomplie dans la prémonition incandescente d’un achèvement imminent d’amour mortel .Dès l’entrée en scène il cède à leur destin et avance vers la mort porté par l’amour incandescent.
Lors de l’ultime intervention clôturant trois actes et son souffle et sa tenue vocale sont imperturbables. La passion la plus dévorante l’habite, ses murmures glissent à l’oreille comme des caresses, son éloquence porte l’orageuse brisure des sentiments avec une justesse de ton idéale et prenante. Son sort est scellé à celui de celle à lui destinée, il marche à la mort en une longue déclamation dont les nuances extrêmes sont amenées en murmures timbrés d’ éclats explosés, fulgurants, bouleversant l’auditoire au delà de l’écoute. Il a forgé son personnage mêlant noblesse de discours et flamboyance musicale en un équilibre si harmonieux qu’il meurt en un apogée vocal étincelant dont les sanglots plongent à l’orchestre comme son âme à la mer. Ce fut inoubliable, profondément marquant.
La mise en scène du troisième acte avec cette esquisse de pointe de barque noire et ses voiles funèbres a porté l’action à son point d’intimité la plus comburante.
En Isolde, la portugaise Elisabete Matos solidement campée par un physique généreux et vaillant présente une voix à l’ambitus ambitieux, conduite et tendue sans difficultés audibles. Le souffle maitrisé, la technique sans faille, elle avance assez imperturbable. Ses capacités la font comparer aux grandes cantatrices de l’âge d’or wagnérien si ce n’est que le timbre bien que dense est un peu trop clair et manque de nuances et de caractère. Cala dit la dame réalise une performance remarquable, sans faille, sans faute, si ce n’est un petit égarement d’élocution et une perte d’intensité en début de “Todes lied “légèrement décalé. Mais aucun aigu n’est crié, ni “négocié “et tous portent la marque d’un travail vocal et musicale parfait à la hauteur de l’intensité exigée par ce rôle, le plus éprouvant de tout le répertoire pour un soprano lyrique .Hélas, le maquillage vieillot (1950) et une perruque à godets d’un blond terne, ne sont pas adaptés au physique de la cantatrice ni au personnage d’Isolde. La carrière d’Elisabete Matos un nombre de rôles conséquents, son avenir dans le chant wagnérien, compte tenu de la conjoncture actuelle est en bonne voie, même si son interprétation peut paraître manquant de certaines nuances.
La Brangaene de Daniela Sindram est habitée, sensible et dotée de l’autorité sorelle du rôle. Le timbre ardent, la vocalité fluide. Une prosodie précise, un phrasé suggestif et un port de voix harmonieux et dense. Elle passe fièrement l’orchestre, s’accorde avec l’Isolde d’Elisabete Matos avec fermeté, énergie et douceur, dans l’expression subtile de dévouement anxieux marqué du sens de la fatalité.
Hans Peter König basse chantante, chaleureux et noble d’allure et de phrasé est habitée par ce rôle. Il campe un Roi Mark paternel, alliant richesse de timbre, technique vocale sans faille et l’expression la plus naturelle de l’empathie humaine. Ses deux interventions sont le reflet d’un bouleversement de tout l’être tenu par une force de caractère exemplaire. Face à la trahison des deux amants, il fait preuve d’autorité, de mansuétude et de compassion. Ce phrasé musical, sobre et intense, à la limite des larmes de regret chargé de reproche, jouent à plein sur l’auditoire et le bouleverse.
En Kurvenal l’écuyer de Tristan, nous retrouvons le baryton Stephan Heidemann que nous avions apprécié dans Rienzi en 2012. Une intonation équilibrée, harmonieuse et nuancée, un phrasé déterminé nuancé de désarroi pour ce lieutenant voulant à toute force tenir en vie son héros, alors que tout s’y refuse. Il rend à Kurvenal santé musicale et rôle de choix que certaines mises en scène amoindrissent souvent.
Autre personnage saillant, le Melot-le traitre- de Tomas Dolié qui entre au répertoire wagnérien avec la même énergie et la même justesse de ton, de musicalité et d’intelligence que chez Mozart. Papageno idéal, [1]le voici cauteleux et semblant si dévoué en Melot .Baryton à l’ambitus long, au style sobre mais affirmé, il a acquis une maturité rayonnante et chante les rôles de caractère avec intelligence et talent. Ses expressions sont toujours doté de caractère et ses dons d’acteurs vont dans le sens de sa conception musicale .Le jeune bordelais que je découvrais en 2006 à Toulon dans la Flûte de Mozart nous surprendra encore…Il a la jeunesse et le talent pour lui !
L’orchestre du Capitole toujours de haut niveau suivait la baguette de Klaus Peter Flor. Ce chef qui se soucie peu des media-comme il a raison- donne à cette partition la force souveraine du chef d’œuvre absolu. Avec son rythme de vague indomptable, sa magie étourdissante de sons instrumentaux isolés partant à l’assaut du ciel, ponctuant les solis chantés et ses accents d’ivresse, de délire éveillé qui envoutent l’auditoire il renouvelle l’écoute comme un heureux élève, oubliant volontairement certains tics de la “tradition”, pour que sonne cette partition incomparable, qui nous marque à chaque fois et jamais de sa perpétuelle renaissance.
Voici une réussite heureuse .Non seulement la mise en scène a été sauvée, mais nous découvrons une nouvelle Isolde aux côtés d’un Tristan au sommet de son art et d’autres acteurs passionnants et passionnés, face à un chef heureux.
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[1] Il est aussi très remarqué par son style lors de la représentation des Indes Galantes de Rameau en 2012 au Capitole.