Alain Altinoglu  au pupitre à Bayreuth

Lohengrin de Richard Wagner .

Dernier opéra romantique ?

 

 Le 26 juillet dernier Alain Altinoglu dirige Lohengrin au Festival de Bayreuth retransmis sur l’antenne de la Radio Bavaroise.Reprise de la diffusion le 9 août sur France musique.

 

Second chef français de l’histoire du Festival à monter à ce légendaire pupitre [1], Alain Altinoglu fêtera ses quarante ans le 9 octobre. Un heureux événement  mérité  pour  lui , comme pour les mélomanes français, qui  même observateurs, prennent toujours un peu tard la mesure du talent de leurs compatriotes. Une formidable  consécration pour cet artiste  talentueux, de caractère aimable  et raffiné, reconnu dès ses premières armes à la tête des maisons d ‘Opéra et des salles de concert de New-York –Faust et Werther…à Vienne et Munich , Philadelphie, Berlin et Paris .

 

 Son envol se produisit  à San Francisco en 2001 il n’a que Vingt six ans, alors qu’il dirige l’opéra en langues italienne et arménienne Arshak II datant de 1868 et signé Dikran Tchouhadjian .Le premier opéra arménien qui reçut le Prix Staline en 1945.

Une maman professeur de piano, une enfance à Paris.

Le jeune homme se montre doué à l’âge de la maternelle.

Studieux aimant les horizons musicaux, littéraires et généraux  larges  il passe son diplôme à l’âge de dix sept ans. Énergique  et  curieux il se passionne non seulement pour son art mais également pour ce qui l’entoureSon épouse Nora Gubisch et lui ont étudié pratiquement ensemble…il est devenu chef d’orchestre après avoir été couronné comme pianiste accompagnateur  , de même, après avoir enseigné au CNSM  dans la classe  d’Ensemble vocal il devient professeur de Direction d’orchestre en 2014.

Sa prestigieuse renommée prend un tour plus ample encore en deux étapes télévisuelles  par des supports prestigieux en 2013 : Un Bal Masqué avec entre autres Ramon Vargas  (Année Verdi)[2]somptueux aux Chorégies d’Orange où il avait déjà dirigé Mireille de Gounod en 2010, retransmis en direct sur France 2. La même année Le Vaisseau Fantôme de Wagner [3] avec Bryan Terfel en rôle titre et cela pour la Deutsch Gramophone en DVD.

Pianiste accompagnateur il aime également, se dédier à la mélodie en accompagnant  Nora .Leur dernier enregistrement  Folk Songs a fait l’objet de nombreux articles élogieux.

Le voici donc  au fameux pupitre de la fosse abyssale de Bayreuth conçue par Richard Wagner pour,  la plus “romantique“ de ses pièces, sinon la plus aimée du grand public : Lohengrin.

La production   date de 2012. Je me ferais un devoir d’en reparler lors de mon reportage sur le Festival de cette année.

Ma première question à A.A coule de source :

Alain Altinoglu rêvait- il de se trouver à cette place ? Place  occupée par  les Clémens Krauss, Hans Knapperbusch, Karl Böhm, Herbert von Karajan, James Levine… pour ne citer que des noms ayant  encore un écho aujourd’hui.

A.Altinoglu .À l’âge des études et du conservatoire même s’il s’agit de la direction d’orchestre, on n’imagine pas  qu’un jour on se retrouvera là !

Mais s’il est un lieu qui fait rêver, celui-ci en est un !

Festival créé par le compositeur lui-même avec un charge de souvenirs et de symboles tels que l’on se trouve en un lieu mythique. Ici se trouve  une trace magnifique. La présence de Wagner est intacte, entière comme sa légende.

On n’en rêve pas vraiment ! Il y a dix ans c’était hors de portée. On peu rêver du Met [4]car le Met fait passer une quarantaine de chef par an et on a sa chance ! Vienne c’est déjà plus serré. Mais à  Bayreuth  il y a quatre chefs au maximum par an et certains qui reviennent chaque année.

Quel fut votre premier contact avec l’œuvre de Wagner ?

A.Altinoglu. Lorsque j’ai préparé mon Prix au CNSM de Paris  pour la section

“Accompagnement”, il fallait à la fin de l’année réduire un passage d’opéra et je me souviens d’avoir préparé “Le voyage de Siegfried sur le Rhin[5]. Ce qui signifie que Wagner m’attirait.

En fait, en arrivant ici  je connaissais presque un quart de l’orchestre déjà !

Il se constitue, en majorité, de musiciens  des orchestres Allemands, quelques uns d’autres pays comme la Suisse ou la France mais en petit nombre. Ayant dirigé à Dresde, Mannheim, Berlin et Munich mon nom circulait depuis quelques années, dans les conversations et  à Bayreuth. Et puis il y eut ce Vaisseau fantôme à Zurich avec Bryn Terfel, Anja Kampe et Matti Salminen .Cela m’a posé comme chef à compétence wagnérienne dans le milieu de langue allemande. De plus je connais Eva Wagner depuis mes dix-huit ans, et elle m’a suivie…Tout s’est un peu tressé à partir de cette rencontre il y a vingt ans à Bayreuth même, lorsque Nora est venue pour u Concours de chant wagnérien. Je l’ai accompagnée et donc : Nous sommes devant le palais des festivals deux heures avant la représentation…Et lors je me dis que vraiment c’est bête d’être là et de ne pas voir La Walkyrie ![6] Mais nous n’avions pas de billet.

Et je vois un Monsieur avec un imperméable avec des Tickets  en main  et il montre les billets de Deutsche mark de 50, 100 etc.

Et je dis à Nora : Non il ne faut pas acheter au noir on ne sait jamais. Et je vais à la Abend Kassa[7] et je dis aux dames qui sont là : Je voudrais deux billets pour maintenant !

Elles m’ont vite dit que cela était impossible…Qu’il faille parfois sept ans pour obtenir un billet à Bayreuth.

Nous avons  recherché et retrouvé l’homme à l’imperméable…Mais les places qui lui restaient coûtaient entre deux et trois cents DM.

Pour nous  étudiants ce n’était pas possible !

Et nous voilà une fois encore à la caisse ! Presque résignés.  Et dix minutes avant la sonnerie des trompettes[8], alors que toute la queue des “chercheurs“ s’ était dispersée…Deux billets ont été rendus…Une vraie chance. Et alors nous avons été initiés au “cérémonial“ des entrées  numérotées, des étudiantes qui vérifient les billets, la place et tirent les rideaux géants pour se blottir tout près et entendre religieusement et debout ! Et je me suis retrouvé dans le noir et le choc s’est produit…Avec les premières mesures de la Walkyrie. Les larmes sont montées…

L’acoustique est une merveille…je ne peux même pas  me souvenir si je savais à cette époque là que la fosse d’orchestre était couverte !

Ce moment inoubliable lui est présent aujourd’hui à l’esprit.

A.Altinoglu :

Il   émouvant et un peu  drôle de venir ici en tant qu’artiste avec Nora  et son père, Car  il lui a transmis  l’amour de  Wagner et son admiration. Ils écoutaient chaque année les retransmissions à France Musique du festival…Il  fit partie de l’orchestre de Bayreuth  en 1955 lorsque Keilbert dirigeait. Une famille wagnérienne tandis que la mienne est généraliste.  C’est merveilleux.

Lohengrin, le beau chevalier mystérieux  symbole de l’amitié et de l’amour. À la création de l’œuvre à Weimar par Liszt au pupitre Wagner est en exil en Suisse sous le coup d’un mandat d’arrêt pour avoir connu et touché de près la Révolution de 1848. Il dit à Liszt :

Sans toi mon Lohengrin n’aurait pas vu le jour.

Vous et vos proches   avez souffert de l’exil, ressentez-vous cette tristesse poignante de Wagner loin de tout en de tels instants ? Loin de la naissance à la scène d’un tel chef d’œuvre ? 

Il y a une universalité dans Lohengrin, de tous les thèmes abordés. Amour, fidélité, observance du secret. Ce suis les derniers feux de la première manière ; romantique dirais-je. Au cours de la composition il n’était pas dans une situation intime et professionnelle très heureuse. Et il ne s’attendait pas à un tel succès  .À Weimar,  Liszt avait  seulement huit “Premiers violons“ seulement et nous en avons seize… Autre chose, Wagner à Paris  copiait de la musique pour vivre chichement. Il copiait Bellini, Rossini…La force du Vaisseau Fantôme Et l’on sent une italianité, une influence forte. Mais l’influence la plus marquante que Wagner nous transmet ici est celle de Carl Maria von Weber l’auteur d’Erymanthe. Le thème du nom qu’il ne faut pas révéler est une citation presque littérale d’Erymanthe. Le brio du Freischütz  aussi a marqué Wagner.

Il faut dire que le deuxième acte de Lohengrin est le plus marquant sur le plan dramatique. Mais au fond il en est de même pour tous ses opéras, les actes deux sont les plus significatifs et les plus intenses sur le plan dramatique.

Lohengrin c’est lui ! C’est Wagner lui-même. De moins tels qu’il se voudrait “à l’idéal“. Ortrud et Telramund sont très forts la scène des deux face à face. Wagner excelle à déceler les ressorts de l’âme humaine et à en jouer. Ortrud  est celle qui donne du “blanc“ à Elsa. Elsa n’est pas une petite fille innocente…Chaque personnage de Wagner est complexe. Selon les périodes de sa vie il fait parler son personnage en fonction de ses états d’âmes et de ses expériences.

Wagner tombe amoureux  ou tombe en amitié de gens qu’il aime certes. Mais également qui sont  utiles .Il lui faut oublier sa misère, ses périodes de misères. Il est à la recherche et à la création de l’œuvre d’art de l’avenir mais dans  une forme de confort moral, amoureux .Amical au sens pur et noble du terme.

Vous nous le dites, après la composition de  Lohengrin le vocabulaire de Wagner change complètement. Que dirigeriez vous de Wagner après cette réalisation à Bayreuth ?

A.Altinoglu : Le Ring, Tristan…Enfin ce que l’on m’offrira…Mais j’aimerais le Ring en premier.

Amalthée

Entretien du 24 juillet 2014 sous copyright

 

 



[1] Le premier fut Pierre Boulez en 1976 pour le Ring du Centenaire des représentations au temps de Richard  Wagner lui même.

[2] Voir l’article de mon site sur le sujet

[3] Opéra de Zurich pour le bi centenaire du Compositeur

[4] New York

[5] Extrait du Crépuscule des Dieux

[6] James Levine dirigeait le Ring cette année là

[7] Caisse du soir, en réalité caisse de la représentation du jour même.

[8] Sur le balcon de la façade les cuivre jouent 15 minutes avant le début de la représentation le thème du jour pour appeler les spectateurs, puis 10 mn et 5 mn nouveau rappel.

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Hélène Cadouin
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